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Le blog d'Anthony Favier

La Communauté des Béatitudes

12 Janvier 2021 , Rédigé par Anthony_Favier

#homothérapie religieuse #catholicisme

Pratiques : soutien matériel et logistique, recrutement, diffusion des idées, théorisation.

Date de l'article :  12 janvier 2021.

Mises à jour : 11 avril 2021, 12 juin 2021, 6 août 2021, 11 février 2023.

Acteurs : Yolande BOUCHARD, Daniel-Ange, Jean-Benoît CASTERMAN, Bernard DUBOIS, Éphraïm (Gérard CROISSANT), Philippe MADRE,  Louis MASQUIN, Fernand SANCHEZ. 

Lieux : Abbaye Notre-Dame d'Autrey/ Cours Agnès de Langeac (Vosges),  Centre de Kinor de Labrit (Landes),  Château Saint-Luc (diverses appellations) (Tarn), les "maisons" des Béatitudes, La Cotellerie (Prieuré Sainte-Marie) à Bazougers (Mayenne).

Organisations liées : Anne Peggy Agapè (le Puy-en-Velay), Cité de l'Immaculée, Communion Marie Reine de Paix, Fraternité Saint Camille de Lellis.

Période concernée : 1973-2017 ; au-delà ?

Retour à l'index

Le documentaire de Bernard Nicolas Homothérapie, diffusé fin 2019, et les différents témoignages livrés par Benoît Berthe dans les médias ainsi que dans l'ouvrage de Jean-Loup Adénor et Timothée de Rauglaudre Dieu est amour ont récemment mis en lumière le lien entre "les Béatitudes", communauté nouvelle issue du Renouveau charismatique français, et l'univers des thérapies dites de conversion de l'homosexualité (NICOLAS 2019 ; ADÉNOR et RAUGLAUDRE 2019).

Mis ouvertement en cause, le mouvement a d'ailleurs réagi. Dans un communiqué, la Communauté n'assure n'avoir "jamais proposé de sessions spécifiques à destination des personnes homosexuelles", même si elle reconnaît que "des personnes homosexuelles ont pu être accueillies dans [le] cadre [de sessions organisées par les Béatitudes]". Sans pour autant se lancer dans une opération cherchant à établir précisément le nombre de personnes touchées et envisager une compensation, la Communauté a toutefois exprimer "son profond regret" (1) – ce que n'a pas fait la Communauté de l'Emmanuel dont les agissements ont été également mis en lumière dans les mêmes documentaires.

Pour comprendre la place des pratiques pour altérer l'orientation sexuelle au sein de la Communauté des Béatitudes, il faut d'abord remettre en perspective la place singulière qu'elle a eue dans le paysage catholique français et ses caractéristiques pour re-situer l'arrière-plan ecclésial, idéologique et théologique des accompagnements proposés aux personnes LGBT.

Si cette histoire vous est déjà connue, vous pouvez vous reporter directement au II)

I) Essor et crise d'une communauté charismatique (de 1973 à nos jours)

La Communauté est créée en 1973 sous le nom initial de communauté "du Lion de Juda et de l'Agneau immolé" (dénomination jusqu'en 1991) par Gérard CROISSANT (né en 1949), sa femme Jo(sette) et un autre couple protestant (2). Ancien étudiant en théologie réformée et aspirant pasteur, devenu diacre catholique en 1978, il se fait appeler "frère Éphraïm". Lors d'un voyage aux États-Unis en 1974, il rencontre la mouvance néo-pentecôtiste américaine et notamment la prédicatrice controversée Kathryn Kuhlmann, dont le "ministère de la guérison" le marque particulièrement. Dans un passage de ses mémoires, il affirme, par exemple, l'avoir vu soigner une personne malade du cancer et alitée (Éphraïm 1985, p. 25 ). À son retour en France, Éphraïm organise progressivement sa communauté en lui donnant une esthétique très particulière. Il importe la célébration du shabbat du judaïsme et fait incorporer dans le temps ordinaire des rites réservés à des fêtes, comme, par exemple, la vénération de la croix de l'office de la passion du vendredi de la semaine de Pâques. Sont également organisées des veillées où la communauté nouvelle implante en France les pratiques néo-pentecôtistes nord-américaines : "parler en langue", guérisons et délivrances... L'organisation se caractérise, de manière générale, par un mélange de nombreuses influences religieuses (l'idéal communautaire de l'Arche de Lanza del Vasto, le Carmel pour les couleurs blanc et marron des vêtements, la spiritualité franciscaine pour l'idéal de pauvreté) ainsi qu'une mixité des états de vie. En effet, prêtres, religieux et laïcs, familles et célibataires vivent ensemble dans des "maisons" sous la conduite de "bergers", non élus et, au départ, nommés à vie. Les bergers assurent les décisions importantes mais exercent aussi des fonctions de guide spirituel tant sur les communautaires que les personnes invitées qui partagent, le temps d'un séjour, la vie d'une maison. À la tête des bergers et des maisons, on trouve un "modérateur général" qui est l'interlocuteur pour Rome, les évêques et les pouvoirs publics de la Communauté. 

Dans les années 1980-1990, le succès de la Communauté est fulgurant. Elle connaît une expansion importante tant en France qu'à l'étranger : le mouvement est présent, au début des années 2000, dans une trentaine de pays et compte dans l'hexagone 27 fondations. Récupérant souvent des lieux abandonnés par d'anciens ordres religieux n'ayant plus les moyens humains et financiers de les entretenir, la Communauté s'implante facilement en offrant le visage d'une Église renouvelée capable d'attirer des jeunes et de susciter des vocations. La croissance canonique de la "Communauté" est modeste, malgré une extension géographique, financière et patrimoniale, elle, plutôt conséquente. Déclaré "pieuse union" en 1985 puis en 1991 "association privée de laïcs de droit diocésain"  dans le diocèse d'Albi, le mouvement voit bien plus grand. Avec ses religieux et ses religieuses en habit qui font des  cérémonies de "profession" comme dans les congrégations officiellement reconnues par Rome, la Communauté a déjà plus d'ambition. Elle s'imagine déjà comme un grand "Ordre" religieux à l'instar des dominicains ou des franciscains.

Suite à une demande déposée en 1998, le Vatican officialise, en 2002, les Béatitudes comme "association de laïcs de droit pontifical" mais "ad experimentum", c'est-à-dire pendant une période déterminée durant laquelle elle doit faire les preuves de sa fiabilité. La décision constitue  une aubaine pour la communauté et aura de nombreuses conséquences dans la mesure où, malgré les premières alertes, elle passe du contrôle, déjà assez lâche et théorique de l'évêque d'Albi, à celui encore plus lointain du Vatican, dont l'autorité se situe au-dessus des évêques français. En dépit des premières affaires qui éclatent, les Béatitudes souhaitent poursuivre leur ascension. En 2008, la communauté demande même la reconnaissance de la Direction des cultes du Ministère de l'Intérieur français pour devenir une "congrégation" reconnue par la loi de 1901, afin de gagner en assise institutionnelle. Elle reçoit pour cela le soutien public de certains politiques comme, par exemple, le conseil municipal de Blagnac où elle a installé sa modération générale. 

Mais le poids des scandales est alors trop lourd et fait rompre cette dynamique de croissance. Le mode de vie amalgamant les états de vie, les familles et les religieux, est de plus en plus difficile à maintenir alors que les enfants grandissent. De nombreuses familles quittent alors les maisons. D'autres problèmes plus délicats se font également jour. En 2005, un rapport confidentiel est en effet adressé aux évêques français sur la confusion entre psychologie et spirituel. Il pointe, entre autres, la Communauté des Béatitudes. En 2006, la MIVILUDES, l'organe inter-ministériel en charge de la lutte contre les dérives sectaires, reconnaît que des témoignages dans son rapport annuel viennent d'anciens des Béatitudes ou de membres de familles de communautaires ne donnant plus de nouvelle. En 2007, son président, Georges Fennec rencontre des victimes et des responsables à la préfecture de Toulouse. Du côté des associations de soutien aux victimes d'emprises et de leurs familles (UNADFI, AVREF), de nombreux documents alertent l'opinion. Dans leurs différentes communications, fondées sur des dizaines de témoignages, elles parlent d'emprise mentale, d'abus de pouvoir  et de ruptures familiales. Des documentaires, notamment à la télévision, vont plus loin et parlent carrément d'une "secte aux portes du Vatican"... Dans un premier temps, la Communauté a du mal à reconnaître ses difficultés et amène sur un terrain juridique ses contradicteurs multipliant les procès contre les journalistes et la lanceur d'alerte, même le directeur de France Télévisons, Patrick de Carolis en fera les frais... 

Les années 2000 et le début des années 2010 constitueront pourtant une période noire pour les Béatitudes qui ne parvient plus à endiguer le scandale. Durant plus d'une décennie, une série d'affaires défraient alors la chronique. Plusieurs histroires sont emmêlées entre elles, médiatiquement et juridiquement, mais  que l'on peut résumer sommairement à plusieurs "noeuds"  :

1. L'abbaye d'Autrey et le cours Agnès de Langeac  (2001-2009). (3)

En 1988, la Communauté installe dans l'ancienne abbaye vosgienne Notre-Dame d'Autrey un "petit séminaire" sous la dénomination de "cours Agnès de Langeac", une école privée hors contrat à destination de jeunes garçons s'interrogeant sur leurs vocations et issus souvent des familles vivant dans les maisons des Béatitudes. Une première plainte pour agression sexuelle contre l'un des prêtres encadrants est déposée en 2001 et aboutit à un non-lieu en 2004. Le jeune homme jeune débouté se suicide en 2005 en laissant une longue lettre expliquant son geste. L'enquête est néanmoins ré-ouverte en 2009, en vain, en lien avec d'autres affaires de pédocriminalité (voir infra).

À ce moment-là, des entretiens dans la presse avec d'anciens pensionnaires parlent même de plusieurs suicides, huit en tout, qui seraient consécutifs au mal-être engendré par les mauvais traitements subis dans cet établissement. Malgré son caractère tragique, l'affaire reste peu relayée. Peut-être qu'elle se situe dans cette période, allant de la condamnation de Pierre Pican, évêque de Bayeux et de Lisieux, pour dissimulation à la justice des crimes d'un prêtre de son diocèse en 2001 au début de l'affaire Preynat-Barbarin fin 2016, durant laquelle la pédo-criminalité catholique est perçue à travers des affaires isolés et non encore comme un problème systémique catholique (BÉRAUD 2020).

Cette affaire qui n'avait reçu qu'une très faible couverture médiatique par le journal la Croix au début des années 2000 fait l'objet d'une longue enquête dans son supplément "L'Hebdo" en janvier 2023. Mickaël Corre, en donnant la parole aux victimes, donne un récit encore plus détaillé sur les événements. Il révèle que Dominique SAVIO, l'un des deux prêtres incriminés dans son enquête, réalisée à partir du témoignage de 24 anciens élèves de l'établissement, est "l'actuel numéro deux des Béatitudes". Suite à ce retour dans l'actualité de cette affaire, Dominique SAVIO renonce à ses fonctions au sein de la communauté, est visé par une enquête canonique et une cellule d'écoute "indépendante et professionnelle" est ouverte.

2. Les frasques du fondateur et du noyau de ses proches (2007-2014). (4)

Gérard Croissant/Éphraïm se retire en 1988 de la direction effective de la Communauté, supposément pour un temps d' "érémitisme" et une nouvelle étape de sa vie spirituelle ; on évoque aussi des soucis de santé. En 1996, il renonce à toutes ses fonctions officielles dans le gouvernement des Béatitudes. En 2007, Croissant perd son ministère diaconal et, en 2008, il est exclu de la Communauté. Mais les membres ne sont pas tenus au courant avant 2011 de la nature exacte de ce qui lui est reproché par la hiérarchie catholique. La presse a toutefois, entre temps, révélé que le couple qu'il formait avec sa femme "Jo" menait grand train (habitations, voyages et toilettes) à l'instar de certains bergers et des premiers modérateurs. Pis, le fondateur avançait des arguments de type mystique pour avoir des gestes déplacés à l'égard de femmes, avec qui il vivait parfois en concubinage, différents éléments que reconnaît la Communauté elle-même dans son communiqué de 2011. La récente enquête de Céline Hoyeau tend même à montrer que frère Éphraïm aurait pu recevoir du dominicain Thomas Philippe, qui a été un temps son père spirituel, sa doctrine déviante d' "amour d'amitié" par laquelle il justifiait son comportement déplacé  (HOYEAU 2021, p. 295 à 297). 

Cherchant à se refaire une réputation au Rwanda où Gérard Croissant s'installe en 2006, sa présence, suite à la disparition inquiétante d'un prêtre, est dénoncée par le gouvernement local et il revient en France en 2008 où ses nouvelles fondations sont dénoncées par l'Église comme non catholiques.... Avant l'éviction définitive du père François-Xavier Wallays, dernier "modérateur général", Éphraïm, qui n'était plus officiellement membre des Béatitudes, a semble-t-il indirectement exercé une grande influence sur la communauté et sa gouvernance à un moment où elle aurait eu besoin d'une forte réorganisation. 

Notons que Philippe Madre qui a été également à la tête de la communauté des Béatitudes a été reconnu coupable d'abus sexuel par personne ayant autorité et a été destitué par l'Église catholique de son ministère ordonné de diacre permanent. En 2014, son nom revient encore dans la presse régionale à la faveur d'un procès l'opposant à la Sécurité Sociale pour avoir lésé trois organismes sociaux.

3.  Plusieurs plaintes d'anciens communautaires et de leurs familles (2005 à nos jours). (5)

En 2002, Pascal Michelena et sa femme Myriam quittent la Communauté après y avoir vécu trois ans dans une maison du Tarn. En 2005, ils portent plainte pour "abus de faiblesse" et "escroquerie" estimant avoir été poussés à donner toutes leurs économies aux Béatitudes malgré leur intense travail pour lequel ils n'étaient pas rémunérés. Dans un ouvrage qu'ils tireront de leurs expériences, ce sont les premiers anciens communautaires à alerter l'Église catholique et l'opinion publique sur les étranges mélanges de psychologie et de spiritualité (MICHELENA 2007). Ils ne seront pas les seuls à partir en ayant le sentiment d'avoir été floués.

En 2008, Olivier Demarle, qui a séjourné en 1998-1999 dans la maison de Thy-le-Château en Belgique, porte plainte pour "abus frauduleux d'état de faiblesse" auprès du procureur de la République de Lille. Il livrera le récit de ce qu'il a vécu auprès d'une association de personnes abusées dans une relation d'autorité religieuse (DEMARLE/SAPEC). Le départ d'anciens communautaires met également au jour d'autres problèmes relatifs à des cotisations sociales (chômage, retraite, sécurité sociale) non versées.

La contestation, par cercles concentriques, s'élargit aux membres des familles qui ont le sentiment que des proches engagés au sein de la Communauté ont été mal traités.  Sylvaine Coquempot, ancienne communautaire elle-même par exemple, cherche à faire reconnaître que sa sœur, Cathy, membre des Béatitudes de 1975 à sa mort en 1979 n'a pas fini ses jours selon le récit mis en place par les fondateurs Gérard CROISSANT (Ephraïm 1985, chap. 2) et Jean-Marc HAMMEL. Quasi-vénérée comme une "sainte" au sein de la communauté de Pont-Saint-Esprit et présentée comme une "religieuse" (alors qu'elle était une laïque), cette dernière aurait en réalité souffert, pendant de longs mois, d'une dépression mal soignée qui aurait conduit à son suicide par pendaison (voir le documentaire de BALLANGER et NICOLL de 2009). Afin de lui rendre mémoire, les membres de sa famille ont demandé – ce qu'ils ont obtenu – l'exhumation et la crémation du corps en 2022 aux frais des Béatitudes. Ils souhaitent désormais que les responsables de l'époque n'exercent plus aucune responsabilité dans l'Église. 

4. L'arrestation et le procès de Pierre-Étienne Albert (2001 -2011) (6) 

Le plus grand scandale touchant la communauté est assurément celui autour de Pierre-Etienne Albert, frère membre de la Communauté arrêté et jugé pour atteintes sexuelles sur plusieurs dizaines de mineurs âgés de 5 à 14 ans sur la période 1985-2000. Il ne s'agit pas d'un religieux comme un autre au sein de la Communauté : chantre et compositeur quasi-officiel, il apparaît dans les mémoires d'Éphraïm comme un personnage guéri miraculeusement de ses addictions (Éphraïm 1985, p. 113-114). À l'origine de son arrestation, on trouve des "lanceurs d'alerte" communautaires : plusieurs membres de la maison de Bonnecombes à Comps-la-Grand-Ville dans l'Aveyron. Au courant de l'inclinaison pédophile de Pierre-Etienne, ils avaient demandé des mesures à leurs supérieurs. Réduits au silence, ils perdent en 2008 leurs "droits communautaires" avant de faire le choix, en 2009, de quitter les Béatitudes. En 2011, s'ouvre le procès de Pierre-Étienne Albert à Rodez. Gérard Croissant, Philippe Madre et Fernand Sanchez, qui ont été les "modérateurs généraux" et ont chacun reçu les confidence de Pierre-Etienne Albert, sont entendus comme "témoins assistés". Ils frappent la presse par leur relative incurie. Philippe Madre déclare ainsi découvrir, lors de l'audience, la nature des actes commis par l'ancien frère sur sa propre fille ! La condamnation de l'ancien religieux en 2011 à 5 ans de prison est fortement médiatisée. Ce procès est un peu perçu comme celui de la communauté dans la mesure où sa préparation a conduit à la garde à vue de ses responsables et au passage à la barre, comme témoins assistés, de certains anciens responsables. Mais, au fond, ces derniers n'ont pas vraiment été condamnés par la justice et ont été plutôt sermonnés publiquement par le procureur de la République qui s'est étonné également qu'une plainte de 2001 contre le religieux n'ait pas déclenché plus tôt les investigations. La presse évoque alors une "nièce d'évêque" qui aurait empêché la transmission du dossier au parquet compétent.

5. Les soubresauts de l'affaire Jacques Marin (2019) (7)

Plus récemment, enfin, le nom de Jacques Marin prêtre-ouvrier, désormais décédé, prédicateur régulier à la Communauté des Béatitudes (et dans d'autres nouvelles communautés), est revenu dans plusieurs affaires d'agression sexuelle de femmes sous emprise.

En définitive, soupçon d'escroquerie, affaires pédocriminelle sur plusieurs décennies et scission dans la communauté  autour de l'affaire Pierre-Etienne Albert ont retenu l'attention avant que l'on prenne conscience, grâce au témoignage de Benoît Berthe en 2019, d'un aspect encore peu connu des pratiques de la Communauté : les pratiques dites de conversion de l'orientation sexuelle...

Il est vrai que, depuis les scandales, la Communauté des Béatitudes a connu une profonde restructuration depuis ces différentes crises. Placée sous l'autorité de la Congrégation pour les instituts de vie consacrés en 2007 et sous la direction d'un commissaire pontifical en 2010, elle a été refondée comme association publique de fidèles de droit diocésain en 2011 à Toulouse, un archevêché disposant de plus de moyens pour le contrôle effectif de la communauté. Depuis, elle a adopté depuis de nouveaux statuts (2013) et a une nouvelle direction qui a pris ses distances avec le noyau originel proche d'Éphraïm (2015). Depuis décembre dernier (2020), elle a un statut de "famille de vie consacrée" qui sépare mieux les branches d'états de vie (religieux consacrés, religieuses consacrées et familles) avec une direction spécifique pour chacune. Des modifications de la gouvernance ont été apportées avec l'abandon des fonctions de "bergers" à vie et la figure des fondateurs tend à être effacé dans l'enseignement qui porte l'identité du groupe. De manière générale, les pratiques dites "psycho-spirituelles" ont été officiellement rejetées. Cette refondation a toutefois eu un coût démographique importante : la communauté a perdu la moitié de ses membres en passant en France de 1500 à 750 membres (dont 89 prêtres, 275 soeurs consacrées et 308 laïcs associé.e.s) (8). Dans les médias, un discours de repentance a pu être tenu à l'égard des errements passés et le triomphalisme passé. Émerge le souhait de tourner la page. 

Mais n'est-ce pas allé un peu vite en besogne sur ce qui a été fait en direction des personnes LGBT qui ont été amenées à vivre dans ou à proximité des Béatitudes ? 

II) Homosexualité, délivrance et guérison aux Béatitudes

Au sein de la Communauté des Béatitudes, l'homosexualité n'est pas un thème de prédilection (à la différence par exemple des organisations comme Courage ou à Torrents de vie) mais il est loin d'être absent ou secondaire. En développant une compréhension extrêmement négative de cette dernière, les Béatitudes l'ont communément mise en lien dans les années 1990-2000 avec les pratiques de délivrance et guérison présentées dans un sens spirituel. Si des exorcismes ont pu être réalisés sur des personnes LGBT, la Communauté a également développé des approches pseudo-thérapeuthiques mêlant accompagnement spirituel et recours à des concepts de psychologie dans un but correctif des sexualités perçues comme déviantes. 

Une conception négative de l'homosexualité 

À l'origine des différentes pratiques pour altérer l'orientation sexuelle ou l'identité de genre, on trouve au sein de la Communauté un attachement à la morale traditionnelle du catholicisme et une désapprobation morale très forte de l'homosexualité ou de la transidentité (même si cette dernière apparaît moins spécifiquement dans la documentation).

En organisant progressivement avec ses proches les Béatitudes, Éphraïm l'a nettement intégré dans le pôle du "catholicisme d'identité" de Philippe Portier (PORTIER 2012). Reprenant, sans mise en perspective historique, à son compte "le songe de Don Bosco", il vante dans ses livres les "trois blancheurs" : l'eucharistie, la Vierge Marie et le pape (Éphraïm, 1985). Ce rapprochement s'effectue avec d'autant plus d'efficacité que  le catholicisme post-conciliaire français est alors divisé et plutôt déboussolé par la poussée politique des "chrétiens de gauche" des années 1970 et la lassitude qu'ils peuvent susciter. Éphraïm positionne son mouvement dans le courant de ceux qui suivent le pape Jean Paul II dans sa restauration de la puissance de l'Église catholique qui passe par un attachement sans faille au catéchisme et à sa morale, notamment sexuelle.

L'homosexualité est une réalité tellement dépréciée que, d'elles-mêmes, les personnes concernées dans la communauté intériorisent la norme et n'assument pas publiquement leur désir. Une victime ayant passé plusieurs années entre les mains des Béatitudes et dont j'ai recueilli le témoignage en parle ainsi :

Voilà : Les choses étaient d'emblée posées. On n'avait même pas pris la peine de prononcer le mot "homosexualité"... C'était mal et l'objectif était bien de nous délivrer de ce "péché". Alors que je traversais une période très sombre (j'allais en fait de plus en plus mal...), je revois le berger me renvoyer froidement qu'il n'y avait plus rien à ajouter : 'Le dossier est classé maintenant'...

Témoignage recueilli en novembre 2020.

On retrouve ici un fonctionnement caractéristique des groupes à emprise : l'accueil inconditionnel, qui prend la forme d'une effusion apparente d'amour et d'amitié, notamment lors des temps liturgiques très chaleureux ainsi que les nombreuses invitations à passer du temps dans une maison de la communauté, s'associent avec des injonctions très intrusives et fortes de la part du berger, contribuant à créer une situation déstabilisante et toxique. La relation du berger à une personne suivie est de nature très particulière : il ne s'agit pas vraiment d'un directeur spirituel en bonne et due forme. Ce dernier dispose d'une forte emprise sur une personne dont il maîtrise les aspects les plus intimes de la personnalité. Précisons ici que la victime a été interdite par son berger de revoir la personne qu'elle aimait et de lui communiquer alors qu'elle se trouvait dans une situation de grande solitude. 

La diabolisation de l'homosexualité et les pratiques de délivrance

L'homosexualité n'est pas seulement un désordre moral qu'il faut combattre par un travail sur la volonté, elle peut également être interprétée comme une possession diabolique qui demande une délivrance par un rite extérieur. Comme souvent dans les milieux charismatiques, elle peut prendre deux formes :

  1. l'une collective lors des veillées de guérison. Des personnes investies par des paroles de vérité peuvent appeler des personnes à se présenter pour recevoir l'imposition des mains, ce qui aboutit parfois à un évanouissement dans l'esprit, dans le but de recevoir des guérisons.
  2. l'autre inter-personnelle dans le cadre d'un accompagnement spécifique réalisée par des membres de la Communauté. Dans certaines situations, en dehors des temps collectifs de délivrance, des prières individuelles peuvent en effet être proposées notamment par les bergers ou les responsables de la Communauté.  Olivier Demarle, ancien communautaire à Thy-le-Château – qui a porté plainte en 2008 contre les Béatitudes pour abus de faiblesse – dans un récit qu'il livre sur le site d'une association d'aide aux victimes d'emprise en contexte religieux, confie avoir été victime de "prières de délivrance". Il relève que "la maladie, la colère et même l'homosexualité étaient considérées comme une possession" (DEMARLE/SAPEC). 

Dans la mesure où l'un des premiers publics "cible" de la communautés était officiellement "les paumés" comme, par exemple, les personnes en situation d'addiction ou les malades du sida à la maison Cottolengo à Cordes (fermée en 2012), on peut faire l'hypothèse que cela a pu  mettre sur la voie, tôt, vers la délivrance de personnes homosexuelles. D'autres sources confirment que Bernard Dubois, berger de la maison Saint-Luc, diagnostiquait couramment des possessions (9).  Rappelons ici que la procédure de l'exorcisme, dans le catholicisme, est pourtant théoriquement très encadrée. Elle est normalement réservée à un seul prêtre par diocèse et ne doit pas être appliquée de manière sauvage, sans une délégation officielle, et sans un discernement préalable. Dans les faits, en réalité, le "grand exorcisme" est très peu pratiqué... Dans l'affaire de l'abbaye d'Autrey dans les Vosges (voir supra), des élèves se sont pourtant plaints d'exorcismes répétés. On sait également que de nombreux objets inadaptés étaient associés au diable, comme l'insubordination, mais également les addictions. Comme l'a révélé le procès de frère Pierre-Étienne Albert en 2011, la pédophilie était aussi associée à la possession. Ce dernier, alertant ses responsables sur son inclination, s'était vu proposer des prières (et une psychothérapie dite "interne")...  Éphraïm lui-même a pratiqué l'exorcisme sur frère Pierre-Etienne pour sa toxicomanie comme il le rapporte dans ses mémoires (Éphraïm 1985, p. 113-114) ainsi que sur une autre personne souffrant d'une dépendance aux stupéfiants qui en a fait le récit pour le CCMM (6) (CCMM, Livre noir )....  De manière générale, un rapport du CCMM le note : "la délivrance du diable se pratiquait dans la communauté des béatitudes, à travers des exorcismes sauvages" (CCMM 2013). Jean-Michel Dunant, fondateur de la "Communion Béthanie", une organisation de soutien aux personnes trans et homo-sensibles, a fait plusieurs fois le récit des exorcismes de son homosexualité (par exemple : DUNAND 2022). Si les acteurs principaux de son calvaire qu'il nomme sont issus des communautés "Jeunesse Lumière" et saint-Jean, il atteste qu'à la fin des années 1980, les Béatitudes pouvaient assimiler l'homosexualité à une possession démoniaque : 

[Après une première session d'exorcismes éprouvants, Daniel Ange] m'envoie bientôt dans une communauté des Béatitudes qui se trouvait dans le Valais, où on me dit qu'un frère dispose d'un vrai charisme et distingue les esprits mauvais. J'ai été à nouveau exorcisé par ce frère qui était un simple laïc.

Philippe ARDENT, "Thérapie de conversion : Daniel-Ange le grand exorciste", Golias Hebdo, 9-13 février 2023, p. 6

Mais la Communauté des Béatitudes s'est caractérisée par une autre forme d'accompagnement des personnes homosexuelles en les intégrant à se démarches pseudo-spirituelles à visée thérapeutique qui ont fait, depuis sa fondation, en quelque sorte sa marque de fabrique : le "psycho-spirituel". 

Homosexualité et approche dite "psycho-spirituelle"

En 2004, dans les colonnes du journal Famille chrétienne, Éphraïm intervient dans un dossier consacré aux "chemin pour les personnes homosexuelles" (10). Dans la section de l'article intitulé "quand la guérison est néanmoins possible", la parole est alors donnée  à la Communauté des Béatitudes présentée comme "spécialisée dans l'accompagnement psycho-spirituel". Si son fondateur concède que "l'accompagnement [des personnes homosexuelles] dure plusieurs années et suppose une détermination farouche qui ne peut venir que d'une grâce divine", il affirme néanmoins que "la guérison de certaines homosexualités est un chemin long et douloureux mais possible". À ce moment-là, il n'y aucune gêne ni retenue chez Éphraïm pour établir publiquement et dans la presse, un lien entre homosexualité et la "guérison". Une des premières grandes enquêtes consacrées aux scandales des Béatitudes, celles de Marie Lemonnier dans le Nouvel Observateur en 2007, relève d'ailleurs que, au sein des Béatitudes, des "guides 'psycho-spirituels' vont jusqu'à promettre la guérison du cancer, du sida ou de l'homosexualité" ... Au cours de la décennie 2000, il n'y a pas de mystère sur ce que promet aux homosexuels la communauté. Alors que les premiers scandales de pédo-criminalité catholique éclatent, il n'est pas totalement impossible qu'il y ait une confusion, chez les initiateurs des accompagnements dits psycho-spirituels, entre l'homosexualité et la pédophilie. L'évènement déclencheur du départ du couple de communautaires Pascal et Myriam Michelena, de la maison Saint-Luc dans le Tarn, est la découverte du fait qu'un prêtre du diocèse de Rouen, condamné pour pédocriminalité, y réside en séjour dit thérapeutique à proximité de leurs enfants sans qu'ils en étaient prévenus (11).

Plus généralement, derrière cette catégorie de "psycho-spirituel" se trouve un élément important de la Communauté depuis sa fondation : la certitude de disposer de méthodes nouvelles, à la croisée de la psychologie et de l'accompagnement spirituel, pour rétablir les personnes qui se sentent mal. Frère Éphraïm"/Gérard Croissant, dans les pluies de l'arrière-saison évoque explicitement dès 1985, la "dimension médicale" structurante de sa fondation. Il la justifie ainsi : "la raison est simple et logique. L'Esprit nous conduit d'emblée au cœur de l'Église, qui a de tout temps été soignante et enseignante, l'Église étant le lieu où l'on guérit du péché" (Éphraïm 1985, p. 110). Cet attrait pour la médecine et la psychologie, on le retrouve alors dans d'autres mouvements charismatiques comme, par exemple, dans la Communauté du Chemin Neuf (12).  Mais les fondateurs des Béatitudes étaient spécifiquement convaincus qu'ils faisaient des avancées exceptionnelles dans le domaine médical ouvert à une dimension spirituelle. Pour Éphraïm,  "toutes les découvertes que nous avons faites dans le domaine de la guérison viennent de la Croix, car c'est là que se trouve l'homme, qu'il le veuille ou non, qu'il admette ou non. C'est par la souffrance, même des plus petits, des plus blessés de ses membres que la Communauté découvre une véritable anthropologie" (Éphraïm 1985, idem). Le mot "anthropologie" n'est pas ici anodin : pour Éphraïm et ses proches, la communauté qu'ils fondent dispose, par ses expériences et son charisme propre, d'une pleine compréhension de l'être humain qui lui permet de diffuser des nouveaux moyens d'accompagner les personnes en souffrance.

La première génération de dirigeants des Béatitudes se caractérise même par une abondante littérature éditée par la Communauté aux éditions "Saint-François de Sales" à Cordes-sur-Ciel, puis aux éditions "Pneumathèque" et "des Béatitudes" à Nouans-le-Fuselier, dont émergent plusieurs figures. Il s'agit principalement de médecins proches ou familiers d'Éphraïm qui se revendiquent d'une approche chrétienne de la médecine : 

  • Philippe MADRE : il est l'auteur ou le co-auteur (de 1982 à 2002) de 5 ouvrages portant sur la guérison, le repos dans l'esprit ou "la blessure de la vie". Médecin beau-frère d'Éphraïm et diacre permanent, il est également le premier berger de la maison de Cordes dans le Tarn et le modérateur général de la Communauté à la suite du fondateur de 1985 à 1992. Dans un article dans La Croix en 1996, il se revendique du "charisme de guérison" évoqué par saint Paul dans l'épître aux Corinthiens. Selon lui, ce charisme s'exerce soit sur les corps soit sur "les coeurs et les psychologies". Sans remettre en cause le sacrement des  malades, il revendique un "ministère de guérison" spécifique dont il a même tiré un ouvrage (13). 
  • Fernand SANCHEZ :  Médecin, diacre permanent, il succède à Philippe Madre en 1992 comme modérateur général de la communauté. Dans les années 1980, il écrit plusieurs ouvrages sur l'astrologie, la parapsychologie, la radiostésie pour mettre en garde les chrétiens. Cela ne l'empêchera pas de développer lui-aussi la thématique de la guérison spirituelle au contenu douteux : on le retrouve remercié comme "inspirateur" dans une dédicace de l'ouvrage la Libération intérieure (2010) dont la parution aux éditions de la Renaissance a cessé en 2011 tant le contenu avaient fait réagir les associations de lutte contre les dérives sectaires (CCMM 2013).
  • Bernard DUBOIS : Pédiatre, berger de la maison Saint Luc jusqu'en 2001, il est le co-auteur de cet ouvrage. À l'origine d'enseignements déclinés sous de nombreux supports, il est le théoricien le plus prolixe des Béatitudes. Pour lui, l'homosexualité n'est pas un sujet inconnu. Un article dans La Croix, en 1997, se penche sur la vie affective des prêtres et  évoque la situation des "prêtres religieuses soumis à de profonds drames intimes - homosexualité, tendances pédophiles, alcoolisme" qui ont "repris pied dans la communauté charismatique dite thérapeutique des Béatitudes". Bernard, et sa femme Florence, affirment alors que avec "un peu de compétence et beaucoup de compassion, plusieurs ont retrouvé un chemin de guérison" (14). En note de cet article est mentionné un site : le château Saint-Luc à Cuq-les-Vielmur. Cet établissement joue donc un rôle essentiel au sein de la Communauté jusqu'à sa reprise en main au début des années 2000.

Le rôle central du Château Saint Luc dans le Tarn

Dans cet univers de brassage de références et de pratiques aux confins du médical et du spirituel, un lieu va en effet avoir un rôle particulier comme laboratoire de réflexion et de diffusion de pratiques : le château Saint-Luc dans le Tarn. Gérard Croissant parle même dans les Pluies de l'arrière-saison de l'arrivée providentielle de la Communauté des Béatitudes dans ce lieu : " nous venions de fonder en Provence quand Mgr Coffy, qui préférait nous voir dans son diocèse, nous fit une proposition de maison. C'était le château Saint-Pierre, aussitôt rebaptisé Château Saint-Luc, le médecin bien-aimé, auteur des Actes des Apôtres" (Éphraïm, 1985, p. 112). Le site est rapidement associé à un autre dans la ville proche de Castres :  "l'achat d'un immeuble en ville s'imposait pour y établir un cabinet de groupe, véritable antenne sur la ville, où en plus des cabinets de consultations, une chapelle serait installée" (idem). Les deux entités forment le "centre médical Saint-Luc" qui publie également, sous ce nom, différents ouvrages (voir Sources). On charge même alors  "les "médecins et psychologues [de la Communauté] orientés vers l'accueil thérapeutique médico-spirituel au sein de leur Cabinet médical et de la vie communautaire" de mettre sur pied "des sessions de formation à cet apostolat à l'intention des prêtres, des médecins, des responsables de groupes de prières ou pour ceux qui ont un rôle important à jouer auprès des malades" (Idem, p. 132).

Si le cabinet médical, pour des raisons qui nous échappent encore, est progressivement mis en sourdine dans les années 1990, le château Saint Luc reste un lieu d'accueil, de retraite et de formation présenté comme un centre "thérapeutique". Agréé par le conseil régional Midi-Pyrénées, il peut accueillir des formation financées par les cotisations sociales des salariés (MICHELENA, 2007, p. 126). Grâce à cette manne inopinée, que représentent également les nombreuses "sessions" qui s'y déroulent, la Communauté des Béatitudes a tout loisir pour se livrer à sa recherche d'une marque propre dans l'accompagnement. Elle ambitionne alors d'élaborer ce qui serait l'équivalent des "exercices spirituels" (mis au point à la Renaissance par saint Ignace de Loyola pour la compagnie de Jésus) adaptés à l'époque contemporaine et aux nouveaux savoirs psychologiques (CCMM 2013). En 1995, une commission spécifique dont prend la tête Bernard Dubois cherche à répondre à ce dessein et c'est lui, on le verra, qui en reprenant le courant de l'"agapèthérapie" de Yolande BOUCHARD, accompagnatrice dans un centre spirituel au Québec, va jouer un rôle central dans la théorisation et la diffusion des pratiques. 

Pascal Michelena, ancien communautaire à la maison saint Luc, qui a beaucoup travaillé à la préparation des sessions attenantes au château du même nom, a fait le récit d'une "session de guérison intérieure" qui s'y déroulait au début des années 2000 : 

Avant de vivre une semaine de guérison intérieure, la personne est invitée à écrire une lettre de motivation. Cette lettre se veut un garde-fou pour éviter les cas psychopathologiques trop lourd, c’est du moins ce qu’expliquent les responsables. Mais il n’est pas rare que les communautaires chargés de ce discernement « sur lettre », n’aient qu’une formation plus que sommaire sur les psychopathologies. C’est donc un choix qui se fait plus au ‘feeling spirituel’ que sur des bases d’analyses cliniques. La responsable de l’accueil invite donc les personnes ainsi choisies à venir, il leur choisit un accompagnateur en fonction des disponibilités et désigne un « ange ».

Pascal MICHELENA, les Marchands d’âmes, enquête au cœur des Béatitudes : les « thérapies chrétiennes » en question, Lyon, éditions Golias, 2007, p. 175

Un "ange" est ici un communautaire qui "porte dans sa prière", tout au long de la semaine de retraite,  une personne dont elle ne connaît pas l'identité, avant de la découvrir lors d'une cérémonie finale. La retraite se déroule ainsi :

L’accompagnateur et l’accueilli(e) se verront tous les jours à raison d’une à deux heures par jour. L’accueilli(e) aura également des activités manuelles ou corporelles (calligraphie, poterie, danse d’Israël, jardinage), participera aux célébrations liturgiques (eucharistie, offices, chapelet, adoration, aux services divers (vaisselle, mise de table). Les accueillis suivront également un enseignement quotidien sur l’anthropologie chrétienne vue par la communauté et le mécanismes de blessures, de réactions aux blessures et la démarche de pardon. L’accompagnateur est en théorie supervisé par une personne, mais le sommet de la semaine, pour les accompagnateurs est la réunion de synthèse.

Idem, p. 76.

Ce qui choque les Michelena lors de ces temps dit de synthèse c'est qu'ils ressemblent plus à "un large déballage des accompagnements vécus lors de la semaine" ouvert à plus de 15 personnes parfois prenant connaissance de situations intimes sans forcément de formation spécifique ni l'accord des personnes accompagnées. Arrive enfin le temps de clôture de la retraite, le samedi, intitulé "une prière de guérison ou de délivrance"

Autour du Saint-Sacrement, l’accompagnateur, l’ange et parfois une troisième personne prient ensemble autour du « malade ». La prière est dirigée par l’accompagnateur et la vie de la personne accompagnée est survolée et ‘les différents esprits, accusés de pourrir la vie de la personne sont ‘attachés' au pied de la croix du Christ’. Les blessures vont être énoncées pour demander l’intervention de l’Esprit-Saint et guérir la ‘maladie’. Dans les faits, nous ne sommes pas si loin des prières d’exorcisme, non dans la forme, mais dans l’intention. La personne accueillie lit devant le Saint-Sacrement, à haute voix, la lettre qu’elle a écrite ou à Dieu, ou à une personne responsable de ses maux (vivante ou défunt). Cette lettre sera symboliquement brûlée. 

Idem, p. 76-77.

Du côté des personnes accompagnées, le vécu rétrospectif est différent. Le témoignage de notre victime (femme) attirée par les femmes ayant également connu une session au château Saint-Luc dans les années 1990 est aussi critique, notamment sur la confusion des plans psychologique et spirituel : 

On envoyait [au château Saint Luc ] des personnes en situation de détresse psychologique. Il fallait écrire une lettre pour y aller mais je me demande si je n'en étais pas dispensée tellement j'allais mal. C'est dans le Tarn, ça ressemble à une forteresse. C'était une semaine en silence avec des services (cuisine, lingerie). Il y avait une psy [...] qui menait des entretiens. C'est ce que je lui reproche aujourd'hui, c'est qu'elle n'avait pas compétence pour faire cela et elle ramenait toujours tout au péché : ce n'était pas neutre." 

Témoignage recueilli en novembre 2020.

Précisons que Bernard DUBOIS est pédiatre de formation. Il a développé dans un livre intitulé Guérir en famille la possibilité d'inclure les enfants à une démarche dite "psycho-spirituelle". Benoit Berthe a également témoigné sur la façon dont il a été conduit, adolescent et donc légalement mineur, au château Saint-Luc de 15 à 18 ans : 

J'ai vécu le calvaire de ces sessions, notamment celle de "guérison des blessures profondes". Je faisais face à un accueil plutôt bienveillant, ces gens-là sont convaincus [...] d'aider des personnes à ne pas tomber dans la dépravation. On trouvait un mélange dangereux de manipulation mentale. Ils mêlent spiritualité et psychologie, sans aucun diplôme, sans maîtrise des sujets. Ils expliquent pourquoi c'est tordu et cela doit être redressé. ils m'ont posé des questions extrêmement humiliantes qui touchaient à mon intimité comme 'Quant tu te masturbes, tu penses à quoi?'

Marius FRANÇOIS, "Trois ans de 'calvaire' pour 'devenir hétéro'", 8 novembre 2019.

On retrouve les mêmes griefs que l'autre témoignage : l'emprise sur une personne, de surcroît mineure, le mélange des registres et l'exercice, en dehors de tout référentiel accepté par la profession, de méthodes psychologiques qui, malgré certains discours, paraissent avoir été exercé de manière artisanale et pour le moins baroque. 

Le Château Saint Luc aura pourtant pignon sur rue comme "Centre thérapeutique" jusqu'au début des années 2000. En 2003, la DDASS (direction départementale des affaires sociales) du Tarn diligente une inspection dans l'établissement. Le rapport conclut que les activités qui s'y déroulent "ne bénéficient d'aucune autorisation ni agrément". Pis, elles "s'appuient sur une vision mystique et des bases thérapeutiques non validées par la science". Les rapporteurs mettent en garde contre le risque de pratique illégale de la médecine  et demande l'abandon de toute mention de l'adjectif "thérapeutique" dans les activités du Château (CCMM 2013). La Communauté des Béatitudes s'exécute : les dépliants sont nettoyés, la mention de centre "thérapeutique" est abandonné, la Maison Saint Luc change de direction : Bernard Dubois laisse sa place au père Benoît-Marie Dewilde comme "berger" de la maison, et les sessions de "guérison" sont transformées en "sessions Nicodème". En 2007, pourtant, suite à la médiatisation de la plainte déposée par le couple Michelena pour abus et escroquerie contre la communauté des Béatitudes, la Dépêche du Midi révèle que le site du diocèse d'Albi continue de mentionner sur son site Internet un "centre thérapeutique Saint Luc". L'évêque Michel Carré plaide l'erreur et rappelle l'interdiction faite aux Béatitudes de mentionner l'adjectif thérapeutique (15). 

À ce jour, on ignore toujours combien de personnes LGBT ont été accompagnées au château Saint Luc en raison de leur orientation sexuelle ou leur identité de genre. Excepté des regrets exprimés dans un communiqué de presse, aucune compensation n'a été, pour l'instant, envisagée ni proposée. 

III) La diffusion et la filialisation des pratiques ?

Le discours officiel à la Communauté des Béatitudes – depuis l'éviction d'Éphraïm et de ses proches, notamment Bernard Dubois - est que la communauté a fait le ménage et mis fin aux pratiques dites "psycho-spirituelles". Henry Donneaud, dominicain et commissaire pontifical à la tête de la communauté au nom de Rome, déclare par exemple en 2012 au journal la Vie  que "les pratiques mélangeant le psychologique et le spirituel ont complètement cessé dans la communauté" (16). Toutefois, il reconnaît que "des dérives résiduelles" persistent "dans des endroits fondés par Éphraïm à un moment où il n'était plus à la tête de la communauté" (idem). La Communauté a en effet essaimé une série d'organisations qui prolongent, d'une certaine manière, le sillon sans que l'on ait de garantie certaine qu'elles aient abandonné les pratiques du Château Saint Luc.

Le courant de l'"agapè(thérapie)" 

Méthode mise au point dans un centre spirituel du Canada par la religieuse Yolande BOUCHARD (17) (décédée en 2021), l' "agapethérapie" est acclimatée avec quelques adaptations en France par le docteur Bernard Dubois au château Saint Luc au cours des années 1990-2000 (CCMM 2013). En 2003, le docteur exfiltré des Béatitudes constitue une association dénommée "Anne-Peggy Agapè" qui s'installe en 2005, avec l'accord de l'évêque du lieu Henri Brincard, au Puy-en-Velay où elle implante ses sessions. Selon le magazine Golias qui a enquêté, "jusqu'en 2011 les formations étaient à peu de choses près celles qui avaient été élaborées par la Communauté des Béatitudes à Château Saint-Luc" (18), un dépliant indiquant même qu'elles tentaient de "synthétiser le travail et l'expérience des Béatitudes dans le domaine de la recherche anthropologique et de l'accompagnement spirituel" (idem).

Une session Agapè prend la forme d'une retraite d'une semaine où, chaque jour, l'accompagné procède à une relecture de sa vie de sa conception à l'âge adulte, en passant par la période utérine et la petite enfance (période où l'être humain n'a pourtant pas de souvenirs). Les sessions Agapè sont des retraites très structurées et organisées. Les  méditations succèdent aux enseignements religieux, qui exposent la théorie qui sous-tend la session. Des temps liturgiques marquent les étapes conduisant vers la supposée guérison. Tout est fait pour amener le retraitant à prendre conscience de ses "blessures" qui font obstacle au dessein originel d'amour de Dieu pour lui et entraveraient son bonheur. Une série de rites et de prières matérialisent le chemin accompli afin d'obtenir une forme de libération et recouvrer la santé (LÉCU, 2021, p. 86-87).

Les sessions Agapè ne concernent pas exclusivement les personnes LGBT mais ces dernières ont pu être intégrées à la liste des "mal-être" qu'elles se proposaient de traiter. Le centre de lutte contre les manipulations mentales a pu faire le récit d'un retraitant en session Agapè. D'après ce dernier, il est établi que, le quatrième jour, consacré à l'adolescence, un enseignement est délivré sur l'homosexualité (avant le cinquième, sur les abus sexuels) :

La méditation commence par la mise en situation différente pour l’homme et pour la femme. Le même scénario de malheur : le père violent, le fait de n’avoir pas correspondu à l’enfant désiré par les parents, la surprotection de la mère, la carence affective du côté de la mère, etc. La méditation se termine par une prière pour être dégagé, encore une fois, des influences aliénantes qui ont modifié, aspirations, goûts, attraits…

Et comme Dieu peut tout, il suffit de lui demander de ‘m’accompagner tout au long de ma croissance, et de corriger ce qui m’a brisé(e) dans mon être spirituel, psychologique et même physique’. En bref, Dieu est un super-thérapeuthe à tous les niveaux.

Site du CCMM

On retrouve, comme c'est souvent le cas chez les experts catholiques de l'homosexualité (Tony Anatrella, Louis Masquin, cf. infra) un attrait pour la théorie, d'inspiration freudienne, du juste développement psycho-sexuel devant aboutir à l'hétérosexualité. Elle interprète l'homosexualité comme un blocage et une immaturité qui s'enracinent dans l'histoire personnelle. L'Agapè apparaît ainsi comme l'une des méthodes qui se propose de "réparer" une construction brisée... 

D'autres lieux et d'autres formes 

Dans le sillage des Béatitudes, d'autres lieux ou organisations ont en toute vraisemblance essaimé le même lot de théories et de pratiques de "guérison" aux frontières de l'accompagnement spirituel et de la psychologie même si, pour l'instant, ce ne sont que des pistes très ténues qui nous conduisent à eux.

le Centre Kinor de Labrit 

Même évincé de la Communauté des Béatitudes, Éphraïm a poursuivi ses essais pseudo-thérapeuthiques et la presse permet de retracer grossièrement son parcours. En 2011, l'évêque d'Aire et Dax (diocèse qui correspond globalement au département des Landes) doit rappeler que le "centre de Labrit" n'est pas une œuvre catholique de son diocèse bien qu'un prêtre des Béatitudes, qui occupe formellement des missions comme aumônier d'un établissement scolaire catholique du diocèse, y officie.  Dans le bulletin diocésain Église dans les Landes (n°149, p. 4) il indique que "Kinor est une entreprise privée, fondée, semble-t-il, par une équipe de thérapeutes dont certains se disent reconnus par l'Église catholique". Le lieu est également un centre de "formation" et on peut faire l'hypothèse que les méthodes et pratiques du psycho-spirituel s'y sont poursuivies (19).

la Communion Marie Reine de Paix / la Cité de l'Immaculée

L'organisation sous cette dénomination apparaît dans le documentaire de Sophie Bonnet "les Béatitudes, une secte aux portes du Vatican" de 2011. Le film rend compte d'une session intitulée "je serai guéri" au Carmel de Lisieux. Le couple d'animateurs pratique des temps collectifs de régression vers le "sein maternel" et, dans un entretien avec un journaliste infiltré, l'intervenante explique que "tous nos problèmes viennent de notre petite enfance" (26'21"), postulat initial de la mouvance de l'agapèthérapie. Implantée en Mayenne, la "Communion" – qu'on peut assimiler, semble-t-il, à un avatar de la Communauté des Béatitudes formé par des anciens déçus du départ d'Éphraïm et des mesures restrictives dont il a fait l'objet – a fait elle-même été sanctionné canoniquement dans le diocèse de Laval : ses responsables ont été interdits d'enseignement et un document, rédigé par un diacre a été remis aux évêques sur leurs activités (AVREF Agapè, en ligne). Plusieurs anciens ont entrepris une nouvelle fondation : "la Cité de l'Immaculée" sur laquelle nous ne disposons malheureusement de peu d'informations. 

les Fraternités saint Camille de Lellis ? 

Le livre des époux Michelena, qui ont été communautaires au Château Saint Luc, évoque cette organisation dans leur ouvrage comme un pôle de personnes ayant été formées aux Béatitudes et revendiquant le titre de "thérapeute chrétiens" ou de "thérapeutes Saint Luc". Ils en parlent même comme "le prolongement de l'apostolat de la Communauté catholique des Béatitudes" (Michelena 2006, p. 126, p. 160 et p. 198). Serait-ce également un vivier de pseudo-professionnels proposant leurs services pour accompagner les personnes LGBT ? Rappelons que dans le domaine encore méconnu des pratiques visant à modifier l'orientation sexuelle en France, plusieurs éléments laissent à penser que, à côté d'officines religieuses qui maintiennent la culpabilité morale au nom d'une doctrine chrétienne, il existe des personnes qui se présentent comme accompagnatrices, psychologues ou non, conseillers conjugaux parfois. La Fraternité saint Camille de Lellis a-t-elle pu jouer ce rôle de groupe de personnes ressources sur ces questions ? Tout semble l'indiquer... 

La poursuite des activités de Bernard Dubois

Bernard Dubois, après avoir été évincé de la Communauté des Béatitudes et de l'Agapè du Puy-en-Velay (voir infra), se signale encore çà et là dans l'organisation de "sessions" qui recyclent ses principaux thèmes : la formation dite "anthropologique" et la soi-disant guérison des blessures psychologiques. En 2021, une formation intitulée "réactions aux blessures affectives et guérison de l'homme" est annoncée pour les 10 et 11 décembre à "la Cotellerie", maison d'accueil et de retraites du Prieuré Sainte Marie tenue par la congrégation des "petits frères de Marie" dans la Mayenne. Cette session est destinée "à ceux qui accompagnent des personnes en difficulté". Il n'est pas exclure que, sous un autre nom et sous une forme euphémisée, on retrouve ici les anciennes sessions à destination des accompagnants spirituels qui se faisaient au Château Saint-Luc – et qui visaient également la formation de "professionnels" de l'accompagnement . Ce qui est marquant ici, c'est que le diocèse où se déroule cette formation est celui où le "noyau dur" des fidèles refusant la disparition des Béatitudes "traditionnelles et historiques" ont fondé la "Communion Marie Reine de Paix" puis, après sa disparition, la "Cité de l'Immaculée"...

Des autorités lentes à réagir ?

L'essor du "psycho-spirituel" en marge d'organisations charismatiques catholiques ne s'est pas fait sans attirer l'attention des autorités religieuses ou politiques : 

  • En 2000, la Congrégation pour la Doctrine de la foi délivre une "instruction" sur "les prières pour obtenir de Dieu une guérison" (CDF, 2000). Ce texte met en garde contre la profusion de temps de guérisons en dehors de ceux institués par l'Église catholique, notamment hors du cadre du "sacrement des malades". En cas de "célébrations liturgiques de guérison", "l'autorisation [de l'évêque] doit être explicite" (art. 4, §3). "Il est en outre nécessaire, prévient le texte, que, durant leur déroulement, on n'en vienne pas, surtout de la part de ceux qui les dirigent à des formes semblables à de l'hystérie, à l'artificialité, à la théâtralité ou au sensationnalisme" (art. 5, §3). En cas de guérison soudaine dans l'assemblée la "prudence" est demandée et Rome demande clairement aux évêque d' "intervenir avec [...] autorité quand il y a des abus"... Si le texte cadre les assemblées de prières charismatiques, il passe à côté de la multiplication des exorcismes "sauvages" et l'essor du "psycho-spirituel".
  • Les autorités catholiques françaises se saisissent toutefois de cette question sérieusement pour la première fois en avril 2005 lorsqu'un groupe de travail composé de François Blondel, évêque président de la Commission épiscopale pour la vie consacrée, Michel Santier, président du Comité épiscopal pour le Renouveau, soeur Monique Gugenberger, présidente de la Conférence des supérieures majeures, Luc Crépy, président de la Conférence des Supérieurs majeurs, soeur Marie-Chantal Geoffroye, président du Service des monnaies et soeur Eliane de Montebello, coordinatrice du service "accueil médiation pour la vie religieuse et communautaire" produisent un document "à usage réservé des évêques" et des supérieurs religieux (Service Accueil Médiation pour la vie religieuse et communautaire et alii, 2005). Ce document s'inquiète des risques de souvenirs induits par les sessions de guérison et les séparations familiales qu'elles entraînent et des vocations suscitées de manière trop rapide chez des personnes fragiles. Surtout à destination des congrégations religieuses, le texte n'envisage pas que la guérison a pour destination de mauvais objets (comme l'homosexualité) et les retraites "ouvertes" à tous les fidèles. 
  • En 2007, le rapport de la Miviludes, l'organisme inter-ministériel de lutte contre les dérives sectaires, aborde la question des dérives thérapeutiques qui aboutissent aux "faux souvenirs induits". Un an plus tard, le rapport 2008 relève qu' "une avalanche de témoignages et de demandes" ont été adressés à la Miviludes suite à son évocation dans le rapport de 2007. Le même document rappelle qu'un des critères déterminant pour reconnaître la dérive sectaire est l' "embrigradement théorique", visible "quand "la 'théorie' n'est pas à considérer comme un ensemble d'hypothèses à interroger, mais sacralisée, elle explique tout et marche à tous les coups" (MIVILUDE, 2008, p. 114-115). Sans la nommer explicitement ni la désigner exclusivement, les rapporteurs s'en prennent aux "sessions Agapè" alors que les collectifs de victimes de dérives sectaires se plaignent des séparations intra-familales liées à des faux souvenirs (les conjoints ou les ascendants se voient reprocher des faits, souvent d'ordre sexuel, qu'ils n'ont pas commis) et l'embrigadement, parfois dans de "fausses vocations", des personnes en situation de rupture. 
  • Dans le diocèse du Puy-en-Velay, la réponse des autorités épiscopales est, dans un premier temps, surprenante. En 2011, Michel Santier remet un dossier confidentiel à l'épiscopat dans lequel il pointe les dangers du "psycho-spirituel". Commentant le rapport, le journal La Croix évoque explicitement les retraites Agapè la Communauté des Béatitudes. Le magazine Golias publie en 2012 ce rapport et Henri Brincart, évêque du Puy, déclare alors qu'il repose sur une version dépassée du livret en usage dans les sessions agapè. Il demande donc un "audit" qui sera remis en août de la même année par le dominicain Thierry-Dominique Humbrecht et qu'il présentera plus tard à l'assemblée plénière de l'épiscopat afin de rassurer ses collègues. Dans ce document, excepté quelques corrections mineures qu'il suggère et la reconnaissance canonique de l'association organisatrice des sessions, le rapporteur déclare pleinement catholiques ces dernières (20). Il faut en réalité attendre la nomination en 2015 de Luc Crépy évêque du Puy en Velay pour assister à une ré-organisation des sessions Agapè en 2016. En 2017, une nouvelle formule des sessions est organisée sous le vocable d' "Agapè Notre-Dame du Puy" (21). 

Du côté des autorités civiles ou religieuses, il faut donc une vingtaine d'années pour parvenir à réguler et cadrer les sessions "psycho-spirituelles" (sans pour autant y renoncer). Force est également de constater, que les motifs évoqués (peur des confusions des plans ou des souvenirs induits) ne concernent jamais explicitement le respect de l'intégrité psychique des personnes LGBT... 

IV) un acteur régulier dans la promotion d'idées homophobes

Après la diffusion du documentaire Homothérapies fin 2019, la Communauté des Béatitudes dans un communiqué a affirmé que "la question de l'homosexualité, malgré son actualité, n'a pas été ces quinze dernières années et n'est pas aujourd'hui, un thème théologique ou pastoral travaillé et enseigné"(2). Cette assertion est pour le coup assez problématique. Certes, le château Saint Luc a été ré-organisé en 2001, mais, depuis sa création, la Communauté des Béatitudes reste un acteur éditorial de création et de diffusion de discours négatifs sur l'homosexualité. Elle s'inscrit pleinement dans le catholicisme français d'identité qui a porté une conception péjorative de l'homosexualité, du mode de vie gay contemporain et du couple homosexuel. Jusqu'à aujourd'hui, la Communauté produit même des documents qui peuvent justifier des démarches correctrices de actes affectifs et sexuels entre personnes de même sexe, ce qui fait qu'elle peut se retrouver indirectement dans des polémiques, notamment lorsque les manuels qu'elle édite créent des controverses en contexte scolaire (récemment en 2017 et 2020).

On peut repérer plusieurs ouvrages éditées par les Béatitudes et qui sont encore parfois disponibles dans le commerce. Certains ne sont plus édités ou épuisés mais ils n'ont pas été rappelés et n'ont pas fait l'objet d'une communication désapprouvant leur contenu. Chronologiquement  : 

1992 : Daniel-Ange, Homosexuel, qui es-tu ? où vas-tu ? 

Le père Daniel-Ange (de son nom complet : Daniel-Ange Maupeou d'Albeiges) est un acteur connu de la galaxie charismatique francophone. Il est le fondateur du mouvement "Jeunesse Lumière". Dans son parcours intellectuel, il est très tôt attaché à l'idée de la dimension "thaumaturgie" de l'amour de Dieu avec un essai les blessures que guérit l'amour édité en 1996 aux éditions de la Communauté des Béatitudes à l'époque où elles s'appelaient encore "éditions Pneumathèque". L'ouvrage sera ré-éditées de manière augmenté en 2007 avec un titre mentionnant Thérèse de Lisieux (voir Sources). Dans Homosexuel, qui es-tu ? Où vas-tu ?, Daniel-Ange souhaite "ni rire, ni applaudir" l'homosexualité mais "accueillir et guérir" (p. 12). L'essai se veut un appel à constituer des communautés chrétiennes correctrices : "tant de jeunes blessés dans leur affectivité ont été progressivement ré-équilibrés en vivant dans des lieux de grâce" (p. 15). L'ouvrage passe beaucoup de temps sur la genèse de l'homosexualité afin de conclure à une "immaturité" vécue comme une "aliénation" toujours source de culpabilité (p. 39). Le chapitre IV propose des "pistes" même si l'homosexualité est définie comme "l'une des blessures les plus difficiles à guérir" et l"'une des déviances les plus dures à rectifier" (p. 51). Les "conversions religieuses" sont vue positivement comme les sources de ces "revirements" (idem) et parmi les propositions d'accompagnement il nomme explicitement l'association "devenir UN" (aujourd'hui DUEC) à l'époque où, sous la direction de Michel Jamet et de sa femme, le groupe essayait de se constituer comme un mouvement ex-gay français (p. 63). 

2006 (2017, 2020): Jean-Benoit CASTERMAN, Pour réussir ta vie sentimentale et sexuelle 

En 2017, un manuel édité 11 ans plus tôt aux Éditions des Béatitudes et écoulé depuis à 50000 exemplaires se retrouve au cœur d'une polémique. Proposé comme ressource au lycée catholique Sainte-Croix de Neuilly sur Seine, dans le cadre d'une séance de "formation humaine et spirituelle", il est dénoncé le 23 février par un élève comme homophobe sur le réseau social Twitter. Suite au mouvement d'indignation de certains parents d'élèves, la direction de l'établissement fait le choix de retirer l'ouvrage. À son origine, on trouve un prêtre de la Communauté de Saint Jean : Jean-Benoît CASTERMAN qui gère une oeuvre charitable catholique au Cameroun (pays qui condamne pénalement les actes homosexuels) et dont on suit de temps en temps la signature dans des articles sur le site d'extrême droite "riposte laïque" (22).

Dans ce manuel, le prêtre accorde une grande importance à l'origine de l'homosexualité qui "résulte surtout d'une évolution psychique marquée par l'influence excessive ou insufisante du père ou de la mère dans l'enfance ; ou suite à des perversions d'adultes". Si l'homosexualité passagère de l'adolescence est abordée de manière compréhensive, il est prohibé de se "définir ainsi" et de passer à l'acte à travers une activité génitale. Contactées par la radio Europe 1 les éditions des Béatitudes, via Claude Brenti, ancien berger de la maison de Nouans-le-Fuselier devenu directeur de l'entreprise, revendiquent la liberté éditoriale même si l'éditeur confesse que, venant d'arriver en fonction et n'ayant pas été décisionnaire sur le projet, il n'aurait peut-être pas ré-édité cet ouvrage sous cette forme (23). L'enquête menée par le journal Marianne révèlera que l'ouvrage n'est pas arrivé non plus accidentellement dans le lycée : il figurait sur la liste des ressources proposées par le diocèse de Nanterre aux équipes pastorales (24). Plus surprenant : à son origine, il y a même un financement de la Banque mondiale dans un programme de lutte contre le sida (25).

Fin 2020, le même livre se retrouve, une nouvelle fois, au cœur d'une polémique dans le lycée catholique Notre-Dame de Kerbertrand à Quimperlé (Finistère). Même scénario qu'en 2017 : une élève choquée des propos de l'ouvrage publie sur le réseau social Instagram des passages qu'elle juge homophobes. L'ensemble du personnel débraye pour manifester sa désapprobation et la direction, reconnaissant une erreur, dénonce une brochure "cousue d'approximations, d'affirmations caricaturales, de mélange de psychologie et de spirituelle (sic)" (26). Cette nouvelle affaire témoigne en tout cas qu'un manuel des Béatitudes, édité depuis 2006, est encore en usage dans l'enseignement privé catholique une quinzaine d'années plus tard.

2012 : Louis MASQUIN, Identité, sexualité, des repères pour aujourd'hui

Neurospsychiatre à Avignon, le docteur Louis MASQUIN est un familier du Château Saint-Luc où il intervient comme formateur dans le séminaire de formation (CCMM 2013). Son nom apparaît également dans l'équipe des personnes sollicitées pour faire le tri parmi les lettres de motivations (idem). Après 2003 et la fin des activités "thérapeutiques" du centre, on le retrouve dans les polémiques liées à la "théorie du genre/gender" du début de la décennie des années 2010. Conférencier, il peut faire le lien entre la "théorie du genre" et le "mariage pour tous" dans des événements en marge de la Manif pour tous (une conférence, par exemple, le 14 mars 2013 à la maison diocésaine d'Avignon). Inquiet pour la jeunesse, il met au clair en 2012 ses idées dans un manuel intitulé identité, sexualité, des repères pour aujourd'hui  qui a fait l'objet d'une analyse par Jean Loup Adénor et Timothée de Rauglaudre dans leur ouvrage Dieu est amour (p. 150 et suivantes). Les deux journalistes avaient alors relevé comment le médecin établit une typologie entre les homosexualités "accidentelle", "réactionnelle" et structurelle". Dans cet ouvrage, il évoque la possibilité d'une "thérapie" qui peut "permettre de sortir de ces failles par un travail de réconciliation, d'apaisement par rapport aux angoisses intérieures et à la forte dépréciation de soi-même" (cité p. 151). 

2018 : Laurent PERRU, Masculin en crise, devenir un homme selon le cœur de Dieu

Dernier ouvrage à contenu problématique édité aux éditions des Béatitudes : l'essai du psychologue Laurent PERRU Masculin en crise, devenir un homme selon le cœur de Dieu. Son auteur n'est pas un inconnu : se revendiquant comme "psychopraticien" et "logothérapeuthe", il est en lien avec la mouvance de l' "agapè" et de la "guérison spirituelle". Il a publié en effet, en 2008, aux Éditions des Béatitudes un essai intitulé le Soin des âmes. Accompagnement, guérison, évangélisation, des perspectives nouvelles qui a reçu une critique assez dure de la religieuse dominicaine Marie-Ancilla spécialiste de cette mouvance : "on peut reconnaître, à l'arrière-fond de l'ouvrage, la doctrine anthropologique des Béatitudes mise en forme par Philippe Madre et Bernard Dubois. Elle apparaît comme un acquis qui ne pose aucun problème" (Marie-Ancilla, s.d.). Son nom apparaît également parmi les formateurs du château Saint Luc (AVREF 2013).

Cet élément n'est pas anecdotique dans la mesure où la théorie de la guérison de l'affectivité et de l'imaginaire se retrouvera dans l'ensemble de son œuvre. L'essai Masculin en crise du psychologue catholique arrive, de manière significative en 2018, après la crise qui a touché les Béatitudes et l'agapè. Il reconfigure, spécifiquement pour l'homosexualité, les mêmes idées en atténuant les aspects devenus problématiques. Mais on retrouve les éléments significatifs de la mouvance psycho-spirituelle appliquée à l'homosexualité : la confusion des domaines psychologique et spirituel, le refus de la dépathologisation de l'homosexualité par les sociétés savantes, l'ignorance de la loi (dépénalisation de l'homosexualité et lutte contre les discriminations) et la non-reconnaissance de l'émancipation LGBT comme participant des droits humains. 

L'ouvrage de Perru sur l'homosexualité reçoit significativement une préface de Laurent Fabre, fondateur de la Communauté charismatique du Chemin neuf dont on a vu la proximité avec les Béatitudes sur le plan de l'accompagnement des personnes malades et des professionnels de la santé. Le jésuite explique son enthousiasme devant l'essai : "ne trouvant rien de très consistant en France, responsable d'une communauté internationale [...] je commençais à percevoir certaines lueurs d'Outre-Atlantique" et de citer la déclaration "homosexualité et espoir" de la société savante confessionnelle des médecins catholiques d'Amérique du Nord...

De manière générale, l'ouvrage transpose les idées de la mouvance "ex-gay" nord-américaine et les reconfigure avec celles de la guérison intérieure. Sur 133 références bibliographiques, la première occurence, avec 12 références, est celle de Joseph Nicolosi dont un ouvrage de 1991 est tenu par l'historien Jack Drescher comme le renouveau des thérapies de conversion de type confessionnel aux Etats-Unis. Nicolosi, qui a conseillé les évêques américains dans le choix des vocations, est le co-créateur du réseau "NARTH" de thérapeutes chrétiens de l'homosexualité s'opposant à sa dé-pathologisation (DRESCHER 1998). De manière significative, dans l'ouvrage de Laurent Perru, Tony Anatrella, Andrew Comiskey, Marcel Eck, Xavier Lacroix, Joseph Nicolosi, Leanne Payne, Michel Socarides - tous associés à la galaxie des thérapies dites de conversion - constituent 20% environ des références. Laurent Perru, au mépris de la déontologie scientifique, cite l'étude de Robert L. SPITZER "Can some gay men and lesbian change their sexual orientation ?" parue en 2003 dans une revue mais pour laquelle son auteur s'est rétracté. Depuis, ce dernier affirme que même "très motivée", une personne homosexuelle ne changera pas avec une thérapie réparatrice (27).

Dans le détail, l'ouvrage de Perru procède, assez classiquement pour ce type de littérature, à une disqualification de l'homosexualité réduite à l'acronyme médicalisant d' "AMS" pour "attirance à l'égard du même sexe" (transposition du "same sex attraction" du mouvement ex-gay américain) et la renvoie à un déficit de masculinité. Le mouvement LGBT est parallèlement décrit comme dénué de toute pertinence : il est assimilé au statut d'instance militante qui a mis au point ce que Laurent Perru appelle le "mythe gay" selon lequel on naîtrait homosexuel. Ce récit alternatif et négatif des événements qui ont conduit à la dépénalisation de l'homosexualité permet à Laurent Perru de proposer des moyens pour "sortir de l'impasse" (titre du chapitre 3). Parmi ces moyens, on trouve évidemment les mouvements Torrents de vie et Courage mais aussi les camps de l'association "au cœur des hommes" et les groupes de parole du "réseau hommes" qui s'inspirent du psychanalyste Guy Corneau (auteur de l'essai très connu Père manquant, fils manqué en 1989). La reconquête de la masculinité est présentée comme la clé pour sortir de l'homosexualité.

D'un point de vue religieux, l'essai de Laurent PERRU est intéressant à plusieurs égards. On retrouve un élément commun avec un mouvement comme Torrents de vie : "le masculin trouve une expression parfaite dans le Christ, modèle de l'homme chrétien" (p. 190). Le psychologue est également critique des courants moraux chrétiens qui prônent la seule recherche de l'abstinence car cette voie "ne résout pas le problème de l'identité" (p. 191). La prière est même présentée comme inefficace : "les témoignages de chrétiens qui ont seulement prié pour être débarrassé de leur attirance sans autre démarche, et qui n'ont pas été exaucés, sont nombreux" (p. 200). La recherche d'une conciliation entre voie chrétienne et homosexualité est, elle, totalement récusée au nom d'arguments pseudo-médicaux, pathologisants et non sourcés : "si l'homme en proie à l'AMS ne prend pas une décision claire et s'enfonce davantage dans une attitude de passivité et d'apathie qui caractérisait déjà cette tendance, il s'expose à des troubles psychiques réels" (p. 193). Aucune note ne permet d'étayer quels sont ces troubles ni quelle source d'autorité permet de l'affirmer. 

Comme dans la galaxie de l'agapè, le détour par les thématiques spirituelles permet de ré-introduire, de manière plus ou moins dissimulée, la pathologisation, ainsi peut-on lire que "la tradition spirituelle atteste qu'aucune maladie, même la plus désagréable ou la plus douloureuse, n'empêche en soi d'être en communion avec Dieu (avec ce qui n'interdit pas de prier pour la guérison et de se soigner" (p. 196). À ce moment-là de l'argumentation, on a basculé, via le religieux, de l'homosexualité à accompagner vers l'homosexualité à guérir... La guérison proposée peut explicitement être celle de "l'imagination" (p. 203) : "la prière sur l'imagination et la mémoire n'a pas seulement pour objectif de soulager une souffrance. Le but est une libération de toutes les capacités, surtout la volonté, capacité de choisir librement et de prendre de nouvelles décisions en réponse au projet de Dieu." (p. 204). Le praticien développe explicitement la façon dont il opère cette sorte de re-programmation pseudo-psycho-spirituelle : 

dans la prière, je propose de demander des images saines du vrai masculin qui vont prendre la place des images faussées, issues de l'imagination du petit garçon honteux et solitaire. En tant qu'hommes, nous avons une sorte d'avantage : Jésus-Christ est un homme et donc, en tant que tel, il est le meilleur masculin possible pour nous. Je propose également de demander cette grâce d'unir notre volonté masculine défaillante à la volonté forte du Christ, à son authentique masculin.

Laurent Perru, Masculin en crise

Conclusion 

Comme il a fallu de nombreuses années afin de comprendre le périmètre, la complexité et les mécanismes de la pédocriminalité catholique, il faudra encore sûrement de temps pour saisir les enjeux des thérapies de conversion en contexte catholique et la part prise, en leurs seins, par la Communauté des Béatitudes.

Aujourd'hui, on n'a pas encore de chiffres évidents de personnes concernées mais nous sommes face à un phénomène qui a eu ouvertement une activités des années 1980 (avec l'ouverture du Centre Saint-Luc) à la fin de la décennie 2010 (si on inclut l'expérience des "agapè" avant leur reprise en main par Luc Crépy). Un certain nombre de publications, encore disponibles au catalogue, dont, en premier lieu, celle de Laurent Perru laissent à penser qu'une série de théories et de pratiques conduisant à altérer l'orientation sexuelle sont encore présentement enseignées, diffusées et utilisées. Cela n'empêche qu'elles connaissent des "mises à jour" discursives pour les rendre moins suspectes dans le contexte de l'époque. 

Si des affaires récentes ont mis en lumière Emmanuel et Courage sur les années 2000 et 2010, il faut envisager que la communauté des Béatitudes et ses satellites aient constitué, en contexte catholique, l'acteur dominant des décennies précédentes 1990 et 2000. Il faudrait encore, pour approfondir ces pistes, étudier les périodiques réalisés par les Béatitudes ainsi que les nombreux supports audio-visuels que la Communauté a édités (cassettes audios, cassettes VHS, MP3). On pourra sûrement établir plus précisément comment la Communauté, avant l'importation des théories des ex-gays nord-américains, développait ses propres outils autour d'une interprétation très particulière de la thématique de la "guérison" enrichie de pseudo-outils psychologisants. 

Seul ce travail permettrait de mettre fin à l'effacement mémoriel – pas propre aux Béatitudes mais à l'ensemble du catholicisme français – concernant l'ampleur et la réalité des pratiques dites de conversion. Le discours actuel, qui tend à minimiser ce qu'il s'est passé ou à le rendre marginal s'il n'est étranger au catholicisme, doit être combattu. En la matière, il n'est pas impossible qu'on soit à la veille de la découverte de nombreux actes d'emprise et d'abus spécifiquement à l'égard des personnes LGBT.

NOTES 

(1) Communauté des Béatitudes, "À propos du livre Dieu est amour", 8 décembre 2019, communiqué disponible en ligne.

(2) Sur ce qui suit, voir infra : REFERENCES / principales enquêtes de presse. 

(3)

  • "Je ne savais pas que j'allais entrer en enfer" (entretien avec Nicolas LE PORT-LETEXIER, propos recueillis par J.-M. D) et Jean-Marc DUCOS, "Huit suicides au cœur d'une enquête", Aujourd'hui en France, 20 juin 2008 ;
  • Jean-Marc DUCOS, "Gardes à vue et perquisitions dans la communauté des Béatitudes", Aujourd'hui en France, 1er octobre 2008 ;
  • P.A., "Mystérieuse abbaye d'Autrey", l'Est républicain, 8 octobre 2008.
  • "Nouvelle enquête sur l'abbaye Notre-Dame d'Autrey", l'Est républicain, 23 janvier 2009.
  • Jean-Marc DUCOS, "Un prêtre des Béatitudes en garde à vue", Aujourd'hui en France, 17 mai 2010.
  • "Poursuite de l'enquête sur le lycée d'Autrey", La Croix, 18 mai 2010.
  • Mickaël CORRE, "Sous emprise, enquête exclusive sur des abus sexuels présumés dans un internat catholique des Béatitudes", La Croix L'Hebdo, 14 janvier 2023, p. 20 à 35.
  • Simon AVON avec Héloïse de NEUVILLE, "Béatitudes : le père Dominique Savio écarté de la gouvernance", la Croix, 24 janvier 2023.

(4)

  • Le parcours d'Ephraïm constitue le principal fil rouge des grandes enquêtes de presse, voir : REFERENCES / principales enquêtes de presse.
  • La cheffe-adjointe du service religion du journal catholique La Croix évoque assez longuement le parcours d'Éphraïm dans son livre-enquête sur les dérives des nouvelles communautés catholiques : Céline HOYEAU, La Trahison des pères, emprises et abus des fondateurs de communautés nouvelles, Montrouge, Bayard, 2021, p. 30 à 34.
  • Claire LESEGRETAIN, "Philippe Madre, ex-modérateur général des Béatitudes réduit à l'état laïc", la Croix, 26 mai 2011.
  • Église catholique en France (site de la Conférence des évêques de France), "la Communauté des Béatitudes communique", 16 novembre 2011.
  • "un médecin yonnais poursuivi pour escroquerie", Ouest France, 23 septembre 2014. 

(5)

  • Jean-Marc GUILBERT, "Ces anciens adeptes qui accusent les Béatitudes", la Dépêche du Midi, 17 janvier 2007 ; 
  • "Une nouvelle plainte contre la Communauté des Béatitudes", la Croix, 16 décembre 2008.
  • B.-H. SAINT-PAUL, "Nous quittons la communauté des Béatitudes", la Dépêche du Midi, 11 mai 2009.
  • Michaël HAJDENBERG, "la retraite sans le sou des anciens religieux", Mediapart, 2 mars 2017. 
  • Sylvaine COQUEMPOT, "Béatitudes : révélations sur la mort suspecte de Cathy", Golias Hebdo, n°736, 22-28 septembre 2022. 

(6)

  • Jean-Marc DUCOS, "Gardes à vue et perquisitions dans la communauté des Béatitudes", Aujourd'hui en France, 1er octobre 2008.
  • Anne-Bénédicte HOFFNER, "le Procès d'un ancien membre des Béatitudes interpelle l'Église", la Croix, 29 novembre 2011. 
  • Ondine MILLOT, "'Monsieur Papouille' et son péché un peu secret", Libération, 1er décembre 2011.
  • Charles LEDUC, "les Béatitudes font une croix sur leur responsabilité", Centre presse, 1er décembre 2011.
  • Laurent HORTES, "Procès des Béatitudes : les quatre cavaliers de la mauvaise foi", Midi Libre, 1er décembre 2011.
  • Anne-Bénédicte HOFFNER, "Cinq ans de prison pour Pierre-Étienne Albert", la Croix, 1er décembre 2011.

(7)

  • "Crimes sexuels dans l'Église : 'le prêtre qui m'a agressé m'a dit : 'voilà, tu es guérie.' ' ", TV5 Monde, 23 février 2019.
  • "Décès de Jacques Marin, prêtre aux multiples victimes", la Croix, 24 octobre 2019. 

(8)

  •  François-Xavier MAIGRE, "la Communauté des Béatitudes quadragénaire 'convalescente', la Croix, 10 juillet 2013,
  • Claire LESEGRETAIN, "la Communauté des Béatitudes devient une 'famille ecclésiale de vie consacrée'", la Croix, 9 décembre 2020.

(9) Chloé ANDRIES, "les Béatitudes : la dérive des médecins de l'âme"la Vie, 29 novembre 2011.

(10) Elise CORSINI et Luc ADRIAN, "Quels chemins pour les personnes homosexuelles ?(1/2)", Famille chrétienne, 3 juillet 2004. 

(11)  Marie LEMMONIER, "Sulfureuses Béatitudes", Le Nouvel Observateur, n°2021, 29 mars 2007. 

(12) Bruno FRON, "les Fraternités médecins-psychologues au Chemin Neuf", in Thierry BAFFOY, Antoine DELESTRE et Jean-Paul SAUZET, les Naufragés de l'Esprit, des sectes dans l'Église catholique, Paris, le Seuil, 1996, p. 88-99. 

(13) Entretien de Philippe MADRE avec Bertrand LETHU, la Croix, 9 novembre 1996. 

(14) Louis de COURCY, "la vie affective des prêtres, religieux et religieuses", la Croix, 17 janvier 1997. 

(15) Jean-Marc GUILBERT, "Ces anciens adeptes qui accusent les Béatitudes" et "la position délicate de l'Église",  la Dépêche du Midi, 17 janvier 2007 et 23 janvier 2007. 

(16) "les Béatitudes méritent de vivre à condition de se purifier", entretien de Henry DONNEAUD avec Anne-Bénédicte HOFFNER, la Croix, 2 décembre 2011. 

(17) "le pardon est la clé de la guérison intérieure", entretien de Yolande BOUCHARD et Émile LEBEL avec Luc ADRIAN, Famille chrétienne, 27 janvier 2001.  

(18) "le Retour de la gnose avec le docteur Bernard Dubois", Golias magazine, n°149-150, mai 2019.

(19) Anne-Bénédicte HOFFNER, "le diocèse d'Aire et d'Ax appelle à la 'vigilance' sur le Centre Kinor de Labrit", La Croix, 28 novembre 2011.

(20) Thierry-Dominique HUMBRECHT, Rapport d'audit sur l'Agape du Puy-en-Velay, 31 août 2012. 

(21) Céline HOYEAU, "Au Puy-en-Velay, les sessions 'psycho-spirituelles' Agapè redémarrent autrement", la Croix, 4 juillet 2017. 

(22) Gaëtan SUPERTINO, "Que sait-on du fascicule sur la sexualité retiré d'un lycée catholique ?", Europe 1, 28 février 2017. 

(23) Frantz DURUPT, "Qui est l'auteur du livre homophobe et anti-IVG distribué dans un lycée de Neuilly ?", Libération, 27 février 2011.

(24) Youness RHOUNNA, "Livret homophobe distribué aux élèves : le lycée catho de Neuilly plaide une 'erreur'", Marianne, 28 février 2017.

(25) Marie MALZAC, "un lycée catholique retire un manuel controversé sur l'homosexualité", la Croix, 27 février 2017.

(26) Florian BARDOU, "Enseignement catholique : un manuel homophobe et sexiste refait surface depuis un lycée breton", la Libération, 4 décembre 2020.

(27) Valérie de GRAFFENRIED, "Des cours pour guérir de l'homosexualité", le Temps, 19 octobre 2012.

SOURCES 

Publications des membres fondateurs des Béatitudes

Frère Éphraïm

- Frère Éphraïm, Les Pluies de l'arrière-saison, le Lion de judas - naissance d'une Communauté nouvelle, Paris, le Sarment Fayard, 1986 (1985), 138 p. 

- Frère Éphraïm, Déjà les blés sont blancs, les Béatitudes – au cœur d'une communauté nouvelle, Paris, le Sarment, Fayard, 1997 (1987), 210 p.

Bernard Dubois

- Bernard DUBOIS, "la guérison intérieure et son accompagnement spirituel", Revue Carmel, n°75, 1995/1.  

- ___ , Guérir en famille : séminaires Saint-Luc, Nouans-le-Fuselier, Éditions des Béatitudes, 2001, 268 p. 

- ___ , La Libération intérieure : psychothérapie, accompagnement spirituel, comment choisir ? Paris, Presses de la Renaissance, 2010, 311 p. 

- ___ , "Relire sa vie à la lumière du Christ", Il est vivant, n°287, novembre 2011, p. 38-44. 

- ___ , Chemins de guérison des blessures de l'enfance : sur les pas de Thérèse de Lisieux, Nouans-le-Fuselier, Éditions des Béatitudes, 2014, 391 p.  

Philippe Madre 

- Philippe MADRE, Mystère d'amour et ministère de guérison, Paris, Pneumathèque1982.

-  ___ , Le Repos dans l'Esprit, Paris, Pneumathèque, 1982.

- ___ , Prières pour la guérison, Nouans-le-Fuselier, Pneumathèque, 1993.  

- ___ , La Blessure de la vie, Nouans-le-Fuselier, Éditions des Béatitudes, 2001.

- ___ , Dieu guérit aujourd'hui, Nouans-le-Fuselier, Éditions des Béatitudes, 2001.  

Publications liées au Château Saint-Luc

- Centre médical Saint-Luc, Séminaire médical et psychologique, Cordes, Éditions Saint François de Sales, 1981.

- ___ , Parapsychologie et vie chrétienne, séminaire médical et théologique, Cordes, Éditions Saint François de Sales, 1982, 45 p.

Publications liées au psycho-spirituel 

- Daniel-Ange, Les Blessures que guérit l'amour, Paris, Pneumathèque, 1996, 153 p.

- Daniel-Ange, Les Blessures que guérit l'amour : Thérèse de Lisieux, prophète de l'Esprit Saint, Nouans-le-Fuselier, Éditions des Béatitudes, 2007, 156 p. 

- Laurent PERRU, le Soin des âmes : accompagnement, guérison, évangélisation : des perspectives nouvelles, Nouans-le-Fuzelier, éditions des Béatitudes, 2008, 212 p.  

Publications sur le genre et l'homosexualité des Éditions des Béatitudes

- Jean-Benoit CASTERMAN, Pour réussir ta vie sentimentale et sexuelle, Nouans-le-Fuselier, Éditions des Béatitudes, 2009, 

- Daniel-Ange, Homosexuel. Qui es-tu ? Où vas-tu ? Nouans-le-Fuselier, Éditions des Béatitudes, 1992, 107 p. 

- Louis MASQUIN, Identité, sexualité, des repères pour aujourd'hui, Nouans-le-Fuselier, Éditions des Béatitudes, 2012, 208 p.

- Laurent PERRU, Masculin en crise, devenir un homme selon le cœur de Dieu, préface de Laurent FABRE, Nouans-le-Fuselier, Éditions des Béatitudes, 2018, 264 p.

Publications catholiques sur le lien entre guérison et spiritualité

- Congrégation pour la Doctrine de la Foi (CDF), "Instruction sur les prières pour obtenir de Dieu la guérison", 14 septembre 2000.

- Groupe de réflexion "spirituel et psychologie", "Dossier du groupe au terme de son travail", septembre 2011. 

- Anne LÉCU, "les prières pour obtenir la guérison", Études, juin 2021, n°4283, p. 81-90. 

- Marie-Ancilla, Foi & guérison : repères et critères chrétiens, Marseille, la Thune, 2008, 244 p. 

- Marie-Ancilla, "Laurent Perru. Le curé en charge du soin des âmes ?", SD, consulté en ligne le 14 mars 2021.

- Service Accueil Médiation pour la vie religieuse communautaire, CSM, CSMF, SDM, Commission épiscopale de la vie consacrée, "des rapports du psychologique et du spirituel dans les communautés : des confusions à éviter", avril 2005.

RÉFÉRENCES

Articles et ouvrages généraux sur le catholicisme et le renouveau charismatique

- Thierry BAFFOY, Antoine DELESTRE, Jean-Paul SAUZET, les Naufragés de l'Esprit, des sectes dans l'Église catholique, Paris, le Seuil, 1996, 333 p. 

- Céline BÉRAUD, le Catholicisme français à l'épreuve des scandales sexuels, Paris, le Seuil, 2020, 112 p. 

- Céline HOYEAU, La Trahison des pères, emprises et abus des fondateurs de communautés nouvelles, Montrouge, Bayard, 2021, 352 p.

- Olivier LANDRON, les Communautés nouvelles : nouveaux visages du catholicisme français, Paris, le Cerf, 2004, 478 p. 

- Philippe PORTIER, "Pluralité et unité dans le catholicisme français", in Frédéric GUGELOT, Isabelle SAINT-MARTIN et Céline BÉRAUD, Catholicisme en tensions, Paris, éditions de l'EHESS, 2012, p. 19-36. 

Articles et ouvrages sur les thérapies dites de conversion

- Jean-Loup ADÉNOR et Timothée de RAUGLAUDRE, Dieu est amour, infiltrés parmi ceux qui veulent guérir les homosexuels, Paris, Flammarion, 304 p.

- Jack DRESCHER, "I'm your handyman : a history of reparative therapies", Journal of homosexuality, 36(1), février 1998, p. 19-42. 

- Jean-Michel DUNAND, Libre : de la honte à la lumière, Paris, Plon, 2022, 183 p.

Documentaires et films

- Jean-François BALLANGER et Florence NICOLL (réalisation), Dans l'enfer des Béatitudes, 2009.

- Sophie BONNET (réalisation),  Les Béatitudes : une secte aux portes du Vatican, 2007.

- Bernard NICOLAS (réalisateur), Homothérapies, conversion forcée, Ego Productions, Arte France, Télé Québec, 2019.

- Sarah SUCO (réalisation), Sarah SUCO et Nicolas SILHOL (scénario), les Éblouis, 2019.

Documents d'organes de luttes contre les dérives sectaires ou d'anciennes victimes

- AVREF (Association d'aide aux Victimes des dérives des mouvements religieux en Europe et à leurs familles), "Les Béatitudes", article consulté le 13 janvier 2021.

- AVREF, "Les Agapè : sessions psycho-spirituelles", article consulté le 14 février 2021.

- CCMM (Collectif des victimes et familles de victimes du psycho-spirituel), le Livre noir de l'emprise psycho-spirituelle, Paris, CCMM-Centre Roger Ikor, 2017, 174 p. En particulier : "un hippie débarque aux Béatitudes", p. 97-107 ; "un berger sort du troupeau", p. 108-113 et "victime de la potion magique du Docteur Sanchez", p. 114-117.

- CCMM, "Session Agapè : les thérapies chrétiennes en question", Golias magazine, 149-150, mai 2013, , article consulté le 14 février 2021.

- L'Enver du décor (site de "vigilance, analyse et prévention des dérives sectaires dans des communautés catholiques"), "le retour de la gnose avec le docteur Bernard Dubois", 5 janvier 2014 (publication), page consultée le 19 mars 2021.

- MICHELENA, Pascal, les Marchands d'âmes, enquête au cœur des Béatitudes : les thérapies chrétiennes en question, Villeurbanne, Golias, 2007, 327 p.

- MIVILUDES, rapport 2007 et rapport 2008.

- Olivier [DEMARLE], "Pourquoi suis-je entré dans la Communauté des Béatitudes ?", témoignage sur le site de l'Association du Groupe SAPEC (soutien aux personnes abusées dans une relation d'autorité religieuse), article consulté le 15 janvier 2021.

- Agathe et Christophe RENOUARD, Pourquoi se(c)taire ? , éditions Maïa, 2022.

- UNADFI (Union nationale des Associations de défense des familles et de l'individu victimes de secte), "les Béatitudes", page consultée le 21 février 2021.

Principales enquêtes de presse 

- Chloé ANDRIES, "les Béatitudes : la dérive des médecins de l'âme"la Vie, 29 novembre 2011.

- Emmanuel LALANDE et Sophie BONNET, "les Béatitudes : dans l'enfer d'une communauté religieuse"les Inrockuptibles, 29 novembre 2011.

- B.-H. et S.-P., "Béatitudes : enquête sur de possibles dérives sectaires", la Dépêche du Midi, 20 janvier 2009.

- Marie LEMMONIER, "Sulfureuses Béatitudes", Le Nouvel Observateur, n°2021, 29 mars 2007. 

- Didier HASSOUX, "Éphraïm : la secte (Communauté des Béatitudes) qui prospère avec la bénédiction de l'Église", le Canard enchaîné, 10 janvier 2007.

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Thérapies de conversion : petit bilan de l’année 2020

1 Janvier 2021 , Rédigé par Anthony_Favier Publié dans #"Ex gays", #thérapie de conversion, #thérapie de guérison, #homothérapie

Rappelez-vous : fin 2019, nous étions plein d'attentes. Avec la sortie chez l'éditeur Flammarion du livre Dieu est amour de Jean-Loup Adénor et Timothée de Rauglaudre, la diffusion du documentaire Homothérapie du réalisateur Bernard Nicolas et la remise du rapport de la mission parlementaire "flash" sur "les pratiques prétendant modifier l'orientation sexuelle", nous pouvions penser que 2020 serait l'année où la France, désormais consciente et sensibilisée à ces sujets, accéderait à une législation digne de ce nom pour défendre la dignité des personnes LGBT.

Au sein de la société française, la cause de la lutte contre les thérapies de conversion semble avoir trouvé son public depuis que le Parlement européen ait appelé, en mars 2018, les États membres à légiférer contre ce genre de pratiques. Mais l'adoption d'une loi spécifique sur cette question semble encore s'éloigner un peu plus. Si l'on suit la Ministre Marlène Schiappa, le gouvernement semble vouloir intégrer cette législation anti-thérapie de conversion à la loi plus générale confortant les principes républicains dite "de lutte contre les séparatismes" (1). On peut comprendre le raisonnement qui conduit à une telle association mais aussi déplorer la faiblesse de nos institutions qui n'arrivent à pas à donner plus de crédit au travail sérieux essentiellement mené par la députée de la majorité Laurence Vanceunebrock-Miallon.

Pour autant, faut-il conclure, entre le Covid qui a donné le sens des priorités, à une année pour rien dans la lutte contre les thérapies de conversion ? Pas si sûr, petit tour du monde des signes d'inquiétude mais aussi d'espoirs....

Le Conseil des droits de l'homme de l'ONU sur le front

La "bonne nouvelle" de 2020 c'est assurément que la prise de conscience grandit à l'échelle mondiale. En mai l'année dernière, et malgré la crise du COVID, Victor Madrigal-Borloz l'expert indépendant sur "la protection contre la violence et la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle et l'identité de genre" a remis au Conseil des droits de l'homme de l'ONU un rapport très attendu sur "les pratiques dites 'thérapies de conversion'". Après des consultations publiques, des inspections sur place et la participation à plusieurs colloques et séminaires de type universitaire, ses conclusions sont sans appel : il existe, sur tous les continents, "des pratiques de nature très diverse, qui se fondent sur la croyance selon laquelle l'orientation sexuelle et l'identité de genre d'une personne, y compris son expression de genre, peuvent et devraient être changées ou réprimées lorsqu'elles ne correspondent pas à celles que d'autres personnes, dans un contexte et une époque donnée, perçoivent comme étant la norme, en particulier lorsque la personne est lesbienne, gay, bisexuelle, trans ou de genre variant". L'humanité dispose désormais d'études fiables et documentées relatives à ce phénomènes dans pas moins de 68 pays...

Rappelant les principes juridiques de non-discrimination, droit à la santé, interdiction des mauvais traitements, droit à la liberté de conscience et d'expression, l'expert onusien a également appelé les États membres à renforcer les législations contre ces pratiques, à développer les campagnes de sensibilisation auprès des familles et des éducateurs et, pour les pays encore concernés, à abolir ce qui conforte ces pratiques, à commencer par les "lois qui érigent en infraction la diversité d'orientation sexuelle et d'identité de genre". Si la médecine et la psychologie sont des lieux de légitimation de ce type d'actions, "l'approche confessionnelle" est explicitement mentionnée dans le rapport : "dans de nombreux contextes enclins à la religion, les pratiques employées visent souvent à traiter l'orientation sexuelle et l'identité de genre d'une personne comme une addiction qui peut être vaincue en suivant les préceptes d'un conseiller spirituel". Courage, fuyons ! 

dans de nombreux contextes enclins à la religion, les pratiques employées visent souvent à traiter l'orientation sexuelle et l'identité de genre d'une personne comme une addiction qui peut être vaincue en suivant les préceptes d'un conseiller spirituel.

Rapport de l'ONU de 2020 sur les dites "thérapies de conversion"

Des Églises inégalement conscientes et mobilisées

Malgré les données qui s'accumulent contre certaines pratiques qui trouvent leur justification dans des doctrines religieuses, en particulier chrétiennes, les Églises ne semblent pas encore pleinement conscientes de leur part de responsabilité, de la nécessité de mettre un terme à ces pratiques et d'envisager une forme de réparation à l'encontre des personnes qu'elles ont pu léser. Si le pape François a pu laisser planer à l'automne une forme de soutien ambigu à l'union civile entre personnes homosexuelles suite à la diffusion d'un documentaire, l'Église catholique en tant que telle n'a pas réagi à la publication du rapport au Conseil des droits de l'homme de l'ONU (où elle siège pourtant au titre d'État observateur). Alors que Courage continue de s'implanter en Écosse – territoire qui compte désormais autant de groupes qu'en Italie – un député vert du Parlement écossais, Patrick Harvie, a interpellé durant l'été les évêques locaux : "l'Église catholique écossaise doit agir rapidement non seulement pour condamner publiquement les thérapies de conversion mais pour faire cesser leur promotion par ses membres" (2). Appel déjà lancé ailleurs mais qui ne semble être entendu tant le mouvement catholique prosélyte  reste dans le déni concernant la dangerosité de ses méthodes... 

Malgré les données qui s'accumulent contre certaines pratiques qui trouvent leur justification dans des doctrines religieuses, en particulier chrétiennes, les Églises ne semblent pas encore pleinement conscientes de leur part de responsabilité, de la nécessité de mettre un terme à ces pratiques et d'envisager une forme de réparation à l'encontre des personnes qu'elles ont pu léser.

L'étude de la presse sur l'année 2020 porte également son lot de révélations aussi tragiques qu'ironiques : des affaires d'abus qui mettent en lumière les personnalités clivées de certains promoteurs d'homothérapies. L'année passée, c'est l'ancien responsable de Torrents de vie en Australie de 1999 à 2014, le pasteur presbytérien Ron Charles Brookman, qui a été convoqué par la justice pour répondre à une accusation d'agression sexuelle sur un mineur de 13 ans (3). En Suisse, la démission du curé de la cathédrale de Fribourg – suite à un dépôt de plainte par un ancien enfant de choeur âgé de 17 ans au moment des faits – a mis en lumière une connexion révélatrice : le prêtre suspendu avait été de 2017 à 2019 l'un des accompagnateurs du groupe Courage dans le diocèse de Paris (4).

Du côté des mouvements promoteurs des thérapies de guérison, face au changement de perception sociale de ces pratiques, des stratégies argumentaires d'atténuation et de relativisation sont de plus en plus visibles. Le pasteur Werner Loertscher, ancien responsable de Torrents de Vie France, mouvement lourdement incriminé dans une série de reportages en 2019 a fait une ré-apparition, à la fin de l'été 2020, dans le média de la fédération des Églises évangéliques suisses. S'il concède une "erreur" aux débuts du mouvement – celle d'avoir trop parlé de "guérison en lien avec l'homosexualité" – le pasteur n'en démord pas : "nous accompagnons ceux qui viennent à nous pour qu'ils puissent trouver leur identité" (5). 

Rappelons ici que l'argumentaire de la guérison peut être atténué assez facilement à travers des expressions comme "mise en conformité avec le plan de Dieu" ou toute autre forme de "restauration", "réparation" ou "remise en ordre" de la sexualité ou l'identité en conformité à une doctrine religieuse énoncée comme préalablement préférable, quand bien même elle irait contre les données des sciences psychologiques contemporaines. Sentant d'ailleurs bien que le lexique de la "guérison" entretient une confusion avec la sphère thérapeutique – et expose donc de plus en plus pénalement les organisations - on assiste, et je pèse mes mots, à un véritable révisionnisme qui consiste à occulter la part ancienne de certains acteurs chrétiens dans l'émergence d'une approche psycho-spirituelle qui se référait bel et bien à des données pseudo-scientifiques pour gagner en crédibilité... L'enjeu est donc bel et bien mémoriel et documentaire : il faut garder la trace de ce que les mouvements tendent à dissimuler au fur et à mesure des révélations de la presse ou des rapports d'organisations de défense des droits humains.

L'enjeu est donc bel et bien mémoriel et documentaire : il faut garder la trace de ce que les mouvements tendent à dissimuler au fur et à mesure des révélations de la presse ou des rapports d'organisations de défense des droits humains.

Une autre façon de contourner le problème pour les responsables des homothérapies est d'utiliser désormais le repoussoir d'autres thérapies plus intrusives – souvent rattachées à d'autres pays ou d'autres confessions – afin de justifier les siennes. Dans le média québécois le Verbe, le rédacteur en chef adjoint peut se réjouir, avec un brin de sentiment de supériorité catholique : "entre certaines Églises protestantes qui pratiquent l'exorcisme pour délivrer des personnes du démon de l'homosexualité et l'Église qui propose une vision précise de la sexualité humaine, il y a quand même une marge..." (6)  De même, pour le pasteur Loertscher apparaît-il regrettable d'assimiler l'action de Torrents de vie aux "thérapies de conversion où l'on intègre de la violence, des infections, des électrochocs ou de l'hypnose" (5).  Ouf, nous voilà rassurés !  Imaginons un instant, si dans l'étude des violences conjugales, on limitait l'étude aux seuls coups et blessures sans prendre en compte la dimension psychologique de l'harcèlement ou des propos tenus... Bref, la prise de conscience ne semble pas encore au rendez-vous pour certains acteurs de la sphère psycho-spirituelle de l'accompagnement de l'homosexualité.

Il faut toutefois relever le cadeau que fut, peu avant Noël, la déclaration de la Global Interfaith Commission de l'organisation LGBT+ Lives initiative signée par plus de 150 responsables religieux de différentes confessions. Parmi eux, on trouve l'évêque sud-africain Desmond M. Tuttu, le rabbin Mel Gottlieb de l'Academy for Jewish Religion ou encore le président de l'alliance mondiale baptiste : le pasteur Michael Ray Mathews... Le texte demande pardon "à ceux qui dont les vies ont été abîmées ou détruites sous le prétexte d'enseignement religieux" et appelle à la fin des thérapies de conversion d'origine religieuse : 

On relèvera cependant qu'aucun dignitaire catholique – si l'on excepte l'ancienne présidente de la République d'Irlande Mary MacAlees déjà connue pour ses opinions sur l'ordination des femmes – n'a jugé bon de s'associer à cette initiative portée par une évangélique, Jayne Ozanne, autrice d'un livre de témoignage qu'elle avait pourtant remise au pape François en 2019... Sauf Marina Zuccon, du Carrefour des chrétiens inclusifs, et, Mark Barwick le prêtre en charge de la communauté anglicane de Strasbourg, peu de Français ont répondu à cet appel, dommage. Mais est-ce véritablement surprenant tant les responsables catholiques semblent timorés sur cette question ? 

Des gouvernements qui tâtonnent vers une législation efficace

Même si les communautés religieuses sont inégalement engagées dans le processus d'acceptation de la diversité sexuelle et de genre, les États poursuivent quant à eux leur chemin en répondant à l'appel de l'ONU. Autour du monde, les gouvernements engagés contre les thérapies de conversion sont de plus en plus nombreux alors que les enjeux sanitaires ont plutôt concentré les efforts des responsables politiques. En janvier 2020, Pedro Sanchez, reconduit à la tête de sa coalition, s'est engagé devant les Cortes à légiférer. Au Canada, un projet de loi confédéral porté par le Sénat a des chances d'aboutir et le premier Ministre Justin Trudeau a redit qu'il soutenait la proposition. En mai, le Bundestag allemand a voté une loi qui criminalise l'incitation faite à un jeune à inverser son orientation sexuelle (les majeurs sont exclus de la législation). En juin, le ministre néerlandais de la Santé a déclaré vouloir mettre fin aux camps et sessions d'été sur l'homosexualité désignés comme des "gay cures". Durant l'été, Boris Johnson le Premier Ministre britannique, qui n'a pas été qu'affairé par la préparation du Brexit, s'est dit prêt à interdire les thérapies de conversion qu'il a qualifiées d' "odieuses"... Ce qui est d'une certaine manière réjouissant c'est que l'arc des sensibilités politiques, du socialiste Sanchez au conservateur Jonhson, est représenté dans ces projets législatifs.

En dehors de l'Europe, point de salut pour les LGBT ? Les bonnes nouvelles sont également venues de l'hémisphère sud où l'État d'Australie du Sud s'est lancé dans un processus législatif dans un pays où on estime que 10 % des jeunes LGBT australiens étaient susceptibles d'être touchés par une thérapie. En Israël, le projet d'interdiction a été accepté par la Knesset, le parlement israélien, au prix d'un conflit au sein de la coalition "blanc et bleu" du gouvernement... Notons, enfin, que Joe Biden, durant sa campagne, s'est dit favorable à l'adoption d'un projet fédéral d'interdiction. De retour dans le jeu des institutions internationales, les Etats-Unis gouvernés par les démocrates auraient un poids certain pour l'affirmation d'une diplomatie plus sensible aux enjeux humains du droit des minorités de genre et sexuelle. 

C'est donc dans ce contexte plus global qu'il convient donc de replacer la situation française : le 3 juin 2020, la députée Laurence Vanceunebrock-Miallon (LREM) dépose une proposition de loi. Cette dernière fait suite au rapport parlementaire qu'elle a remis avec son collègue Bastien Lachaud (LFI). Le texte de huit articles comporte la création d'une infraction spécifique dans le code pénal et l'instauration de circonstances aggravantes pour les délits déjà existants comme l'abus de faiblesse ou l'exercice illégal de la médecine. Il propose également un renforcement de l'enseignement scolaire au respect des différentes orientations sexuelles. Même si, durant un moment, elle a voulu sortir de la majorité, la députée LREM s'est dite confiante dans la capacité du gouvernement à intégrer les apports des de ses travaux.

Un collectif d'anciennes victimes, "Rien à guérir", s'est toutefois constitué pour demander, dans une tribune parue dans le Monde du 25 novembre une loi spécifique : "non, l'arsenal législatif ne suffit pas à lutter contre ces dérives !". Espérons que, en la matière, les tensions entre projets personnels et agendas politiques n'interfèrent pas avec la réalisation  d'un projet qui protégerait davantage les personnes LGBT vulnérables. 2021, l'année décisive pour une loi en France ? 

Les progrès, partout dans le monde, de la pénalisation des thérapies de conversion a fait également progresser la science juridique de la "légistique". Sur ce point, on peut saluer l'article de Jimmy Charruau, un juriste de l'université d'Angers, qui a fait rentrer la question dans la sphère universitaire du droit, jusque là très peu mobilisé sur questions (CHARRUAU 2020 a et b). Si le débat est un peu technique, si ce n'est aride pour les non initiés, les juristes débattent afin de cerner au mieux l'infraction commise. Le point de départ est toujours l'atteinte aux droits humains mais qu'est-ce qui est spécifiquement répréhensible : l'inscription forcée à un programme ? le fait d'y conduire un mineur ? la recherche du profit par les promoteurs des sessions ? Peter Gajdics, victime devenu militant très actif sur ces questions à Vancouver, a livré une réflexion très intéressante à la presse québécoise : "les législateurs doivent interdire ces tentatives de conversion une fois pour toutes, pas seulement pour ceux qui sont contraints ou forcés de s'inscrire. Il est certain que personne ne choisit la thérapie de conversion pour continuer à se faire vivre soi-même ce que la société lui fait subir depuis toujours". C'est en réalité tous les efforts qui cherchent à altérer, chez les majeurs comme les mineurs, une orientation sexuelle et, dans certaines circonstances, l'identité de genre qui doivent rentrer dans le périmètre de la loi.

2021, malgré le contexte sanitaire un peu pesant, s'ouvre donc avec espoir : en France, et partout dans le monde, les marges de progression restent énormes pour protéger la santé, mentale et physique, des personnes LGBT des mauvais traitements de toutes sortes ! 

Articles cités

(1) Nicolas SCHEFFER, "Marlène Schiappa annonce l'interdiction des 'thérapies de conversion' en France dans la loi sur les séparatismes"Têtu, 12 octobre 2020.

(2) Niall CHRISTIE, "Catholic Church told to shut down gay conversion therapy groups"The Ferret, 28 juin 2020.

(3) Lucy CORMACK, "Former inner west reverend with child sex offenses"The Sidney Morning Herald, 4 février 2020.

(4) Claire LESEGRETAIN, "En Suisse, trois enquêtes visent le curé de la cathédrale de Fribourg pour abus sexuel"la Croix, 11 février 2020 et Patrick CHUARD, "Un prêtre 'guérisseur de gay' mis en cause"la Liberté, 11 février 2020.

(5) "le Pasteur Werner Loertscher répond à ses détracteurs"lafree.info, 31 juillet 2020.

(6) James LANGLOIS, "la troisième voie"le Verbe, 21 novembre 2020.

Principales publications concernant les thérapies de conversion (année 2020)

Rapport de l'ONU

Victor MADRIGAL-BORLOZ, "Pratique des thérapies dites de conversion, rapport de l'expert indépendant sur la protection contre la violence et la discrimination fondées sur l'orientation sexuelle et l'identité de genre", Conseil des droits de l'homme, 44ème session, texte disponible en ligne sur le site de l'ONU. 

Études scientifiques

Jimmy CHARRUAU, "Les 'thérapies de conversion sexuelle', quelques propositions sur la loi française"la Revue des droits de l'homme, Actualités Droits-Libertés, 2020. 

____ , "l'interdiction des 'thérapies de conversion sexuelle', étude de droit comparé", Revue internationale de droit comparé, 2020-4, p. 1065-1088.

Travis SALWAY, Olivier FERLATTE, Dionne GESINK et Nathan J. LACHOWSKY, "Prevalence of Exposure to Sexual Orientation Change Efforts and Associated Sociodemographic Characteristichs and Psychosocial Health Outcomes among Canadian Sexual Minority Men"The Canadian Journal of Psychiatry, 2020, vol. 65 (7), p. 502-509. 

Revue de presse d'articles concernant les thérapies de conversion (année 2020) 

Ce document n'a pas la prétention à l'exhaustivité. C'est le relevé régulier des articles que je fais à travers ma veille sur les réseaux sociaux. C'est à partir de ces documents que j'ai réalisés ce petit bilan de l'année 2020. 

Autres

Caroline Benarrosh, "Tu deviendras hétéro mon fils", documentaire diffusé dans le cadre de l'émission le Monde en face, 8 septembre 2020.

Merci à Jérémy pour sa relecture attentive ! 
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