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Le blog d'Anthony Favier

tomas halik

La querelle du culte

28 Avril 2020 , Rédigé par Anthony_Favier Publié dans #Réflexion, #culte, #christianisme intérieur, #catholicisme d'identité, #Tomas Halik

Depuis quelques jours, les catholiques français étalent leurs désaccords et révèlent des intelligences de la foi très divergentes. Dans un tribune parue hier dans la Croix, des penseurs demandent ainsi le retour, dès le début du dé-confinement, avec des aménagements raisonnables bien entendu, des rassemblements religieux de plus de 20 personnes. Ils mettent en avant une liberté qui leur est particulièrement "chère" et invoquent les grands principes consignés dans les traités, conventions et constitutions. Ces intellectuels font de la liberté religieuse un "besoin essentiel" de l'humanité et semblent donc l'assimiler à la messe. On pourrait écrire, pour eux, l'important c'est : "du culte, du culte, du culte !" . 

Du côté de la Conférence Catholique des Baptisé.e.s Francophones, un mouvement d'ouverture, c'est un autre son de cloche que l'on peut entendre. Dans un communiqué de presse paru le même jour, l'association "désapprouve la demande [...] d'ouverture anticipée des lieux de culte catholiques". Pour ses responsables, "les catholiques ne sont pas privés de messe : elles sont diffusées par le service public". Le texte pointe une autre urgence : celle d'être "sur le terrain auprès des plus pauvres et des plus isolés comme le demandait le Pape François". L'analyse est ici autre : l'urgence est sanitaire et il s'agit, en limitant les interactions sociales, de limiter la propagation du virus et de sauver des vies. Prosaïquement, aimer son prochain c'est le vouloir en vie. En quelque sorte, "la foi, plutôt que le culte"... 

On le voit donc : le confinement révèle la pluralité, si ce n'est les divisions, du catholicisme français. Que peut nous dire l'histoire de ces discussions et que révèlent-elles du devenir du catholicisme ? 

Communiqué de presse de la CCBF, 27 avril 2020.

Le débat rejoue en réalité des tensions anciennes du catholicisme français. Elle rejoint une question cruciale si elle en est : qu'est-ce qu'être catholique ? Depuis Gabriel le Bras et le "Chanoine Boulard", dans le sillage des critères pris par l'institution catholique dans ses enquêtes diocésaines de la "Contre-Réforme", c'est la "pratique" qui fait le "vrai" fidèle : le "croyant" seul est toujours suspect de ne pas faire ce qui est pourtant prescrit. Durant son âge d'or, la sociologie religieuse comptabilisait d'ailleurs avec minutie "messalisants", "pascalisants" ou "saisonniers" de la foi et typologisait les "pays de chrétienté" ou "de mission". La statistique contemporaine, qui s'est en principe détachée de la religion, en a toutefois gardé la trace. Les instituts modernes de sondage comptent toujours l'expression de la foi catholique par le calcul de l'assistance au culte dominical.

Le faire c'est pourtant adopter le point de vue de l'institution elle-même : la grâce contenue dans les sacrements, leur institution divine et le caractère essentiel qu'ils ont sur sur la route qui mène au Salut. Dans cette vision, on comprend l'importance que revêt le culte : ce n'est pas l'expression sociale du christianisme mais son fondement et son sommet. Si la pratique baisse après l'épidémie, ce serait un signe d'affaiblissement de plus pour l'Église qui en fait la jauge de sa vitalité. N'affirme-t-on pas souvent que les "observants" ont gagné la bataille de l'après concile en France grâce à la force de la transmission inter-générationnelle ? Et en premier lieur : transmission de la pratique religieuse. On comprend donc l'urgence à la relancer.

Les milieux missionnaires français, Action catholique en tête, avaient développé depuis longtemps une autre vision (sans forcément s'opposer aux sacrements). Dieu se manifeste dans le monde, même séculier, et c'est en s'investissant dedans qu'on peut y trouver et même susciter le christianisme. Mais une telle approche met souvent à distance le culte ou pousse, du moins, à le relativiser. Elle nuance l'importance du prêtre qui n'est plus forcément l'officier sacré qui établit le lien entre ciel et terre. Cahin-caha l'institution avait essayé en France de maintenir tout au long du 20ème siècle une continuité entre les deux pôles -  pratique et mission - et le Concile avait appelé chacun à faire vivre pleinement les deux dimensions. 

Mais l'épidémie a peut-être révélé crûment ce qu'est devenu, pour une partie non négligeable du clergé, le catholicisme, après plusieurs décennies d'affirmation d'un courant identitaire qui a minoré les milieux d'ouverture : principalement un culte, centré sur ses prêtres, leurs célébrations et dans lequel la transmission des pratiques héritées est la principale priorité. Ostention exceptionnelle du "chef de saint Martial" par l'évêque à Limoges... élévation aux quatre points cardinaux d'une hostie par l'archevêque de Paris sur le parvis de la Basilique du Sacré-Cœur... ou escalade du curé en chasuble du frontispice de l'église Saint-Roch pour faire de même... bien des cérémonies baroques, et non sans panache convenons-en, ont été élaborées et relayées sur les réseaux sociaux. Après tout, les périodes exceptionnels appellent des gestes forts...

Reste à savoir quel degrés d'importance leur accorder ? Leurs initiateurs, qui ont fortement médiatisés ces liturgies, semblent y mettre en tout cas leur cœur et leurs convictions les plus profondes : 

Mais comme le note à raison la CCBF, à condition de se départir d'une vision de la foi centrée sur le clergé et ses rites, notamment les plus exceptionnels, il n'est pas sûr que le catholicisme ait disparu en France faute de messe : "les liens communautaires et fraternels n'ont été rompus" : " bien des initiatives personnelles et des groupes chrétiens se substituent tous les jours à la possibilité des rencontres institutionnelles notamment dominicale". Encore faut-il accepter que les partages bibliques, la piété personnelle, les lectures, les méditations et prières seuls, en famille ou en ligne, mais, pourquoi pas aussi, les actes quotidiens de charité soient vus, sans hiérarchie, comme l'expression de la foi. Christianisme intérieur contre christianisme sociologique, christianisme du temps présent contre christianisme du temps hérité, le fossé est sûrement déjà profond à l'intérieur des communautés.

Dans ce débat, une contribution intéressante, mais peut-être pas assez évaluée à sa juste valeur, du théologien tchèque Tomás Halík est parue dans l'hebdomadaire la Vie. Elle permet peut-être d'envisager autrement le débat. La tribune permet tout d'abord de mettre à distance l'argument selon lequel la seule charité qui presse c'est l'engagement social : "si l'Église doit être un "hôpital", elle doit bien sur offrir les services sanitaires sociaux et caritatifs qu'elle a offerts depuis l'aube de son histoire. Mais en tant que bon hôpital, l'Église doit aussi remplir d'autres tâches..." Outre le fait qu'il s'agit d'un élément très courant des discussions catholiques, il n'est pas dit que les "zélés du culte" soient moins, ou plus d'ailleurs, charitables que les autres. Beaucoup de paroisses parisiennes au profil marqué se mobilisent sur le terrain de la distribution de nourriture et les acteurs historiques du catholicisme social ne semblent pas avoir déserté le terrain de la solidarité nationale, bien au contraire...

Mais le théologien appelle plutôt au "discernement" et une lecture des signes des temps. L'hypothèse qu'il avance est plutôt cinglante : "cette époque de vide dans les bâtiments d'église révèle peut-être la vacuité cachée des Églises et leur avenir probable, à moins qu'elles ne fassent un sérieux effort pour montrer au monde un visage totalement différent". Le retour au culte, loin de garantir des lendemains assurés et rassurants, n'empêcherait pas une chute déjà engagée. D'où son appel à la "réforme" pour inventer des communautés où des chrétiens aillent en Galilée. Où se trouverait-elle ?  

Dans le monde, le nombre de « chercheurs » augmente à mesure que le nombre de « résidents » (ceux qui s’identifient avec la forme traditionnelle de la religion et ceux qui affirment un athéisme dogmatique) diminue. En outre, il y a bien sûr un nombre croissant d’« apathiques » – des gens qui se moquent des questions de religion ou de la réponse traditionnelle qu’on leur donne. La principale ligne de démarcation n’est plus entre ceux qui se considèrent croyants et ceux qui se disent non-croyants. Il existe des « chercheurs » parmi les croyants (ceux pour qui la foi n’est pas un « héritage » mais un « chemin ») comme parmi les « non-croyants », qui, tout en rejetant les principes religieux proposés par leur par leur entourage, ont cependant un désir ardent de quelque chose.

http://www.lavie.fr/debats/idees/les-eglises-fermees-un-signe-de-dieu-23-04-2020-105809_679.php?utm_content=buffer1d5c6&utm_medium=social&utm_source=facebook.com&utm_campaign=buffer

Ne pas se focaliser sur la seule séparation entre la pratique et non pratique et être capable de penser des propositions qui apportent du sens à tous.

C'est peut-être cela l'appel du moment davantage que se quereller sur la reprise des messes. 

Ailleurs, d'autres textes sur ce sujet : 

Jean L'HOUR, la Grâce du désert.

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