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Le blog d'Anthony Favier

Jean Paul II et les abus dans l'Église

25 Mai 2020 , Rédigé par Anthony_Favier Publié dans #Jean-Paul II, #pédocriminalité, #cléricalisme, #Benoit XVI, #François (pape)

Le journal la Croix, à travers un article paru le 18 mai dernier, s'est penché sur les révélations des dernières années autour de la pédophilie dans l'Église catholique et la façon dont elles pourraient ternir l'image de saint Jean Paul II. Si la journaliste Céline Hoyeau a eu la gentillesse de citer l'ouvrage critique que nous signons avec Christine Pedotti sur cette canonisation, elle ne nous a pas donné la chance, contrairement au biographe plus établi Bernard Lecomte, de nous exprimer dans les colonnes du journal.  Voici quelques points qui permettent d'approfondir et compléter cette analyse.

L'idée que le pape Jean Paul II ait eu du mal à admettre la mesure de la pédocriminalité d'origine sacerdotale est désormais ancienne et peut même faire l'objet d'une histoire. Il ne s'agit pas d'une lubie portée par quelques journalistes ou essayistes en quête de notoriété ces derniers mois. Les premières alertes sont venues des victimes de Maciel au sein des Légionnaires du Christ. L'ouvrage Vows of silence paru en 2004 a ainsi révélé que des victimes avaient prévenu le pape en 1978 et 1989. En 2002, un scandale avait également suivi la nomination par le pape de Bernard Law, archevêque démissionnaire au cœur du scandale du Boston Globe, archiprêtre de la basilique Sainte-Marie Majeure. Cette décision avait été interprété alors comme un manque de lucidité sur la gravité de la situation et les mesures devant être prises.

Après la mort de Jean Paul II, au moment des enquêtes menant à la canonisation, il faut rappeler que certains cardinaux avaient refusé de témoigner, pointant l'attention de certains observateurs sur le fait qu'ils ne souhaitaient pas gêner le dossier du pape polonais. Enfin, des enquêtes sont encore en cours actuellement. Le réalisateur Tomas Sekielski auteur de deux documentaires (disponible sur Youtube) sur des prêtres pédocriminels en Pologne a récemment annoncé la préparation d'un nouvel item concernant spécifiquement  le "rôle de Jean Paul II sur la dissimulation des crimes commis par les prêtres". On ignore encore s'il s'agit d'une enquête qui portera sur les années polonaises (1958-1978) où Karol Wojtyla exerça des responsabilités diocésaines puis épiscopales ou bien sur l'après 1978. En ce qui concerne la Pologne seule, la figure d'Eugenius Makulski, tombé dans une série des révélations, est d'ores et déjà au cœur de l'attention. L'immense statue de lui avec le pape qui trônait devant le sanctuaire marial de Lichen Stary a été recouverte hâtivement d'une bâche au printemps 2019 afin de ne pas compromettre le pape dont il était très proche. 

Jean Paul II et les abus dans l'Église

Du côté des hagiographes du pape, deux lignes argumentaires émergent en effet : celle de la responsabilité de l'entourage abusant d'un homme affaibli par l'âge ou la maladie et celle du poids d'une culture héritée de l'époque soviétique où les services secrets utilisaient le "kompromat" (le dossier compromettant à caractère sexuel) pour éliminer des opposants politiques, tout particulièrement les religieux.

La première justification est courante pour dédouaner les personnes en situation de pouvoir : on fait peser sur leur entourage leurs mauvaises décisions. Tout système génère ce type de pare-feu. Il n'en reste pas moins que, in fine, c'est bien la responsabilité, surtout dans un système aussi centralisé que le romain et qui revendique une origine métaphysique à cette autorité, relève de celui qui est en haut. De manière générale, ce qui grandit les personnes qui ont l'autorité c'est d'assumer leurs actes. L'ouverture progressive d'archives, comme actuellement celles de Pie XII, permettra peut-être le moment venu d'y voir plus clair sur la façon dont le cardinal Sodano et d'autres auraient abusé du vieil homme. Il restera toutefois important de comprendre ce qui s'est passé les années où le pape était en relative bonne santé. Ce problème en pointe quoi qu'il en soit d'autres : les difficultés à laisser en place des personnes fragiles à des responsabilités aussi élevés après un certain âge et le dysfonctionnement de la Curie comme société de cour propice aux dissimulations et manipulations. Pas sûr donc que l'institution sorte très grandie de cette argumentation en réalité... 

En ce qui concerne la peur de laisser des prêtres se compromettre dans des scandales instrumentalisés, il importe de rappeler que le pontificat de Jean Paul II s'est déroulé davantage après la Guerre Froide (1991-2005 : 14 ans) que pendant la Guerre Froide (1978-1991 : 13 ans). Dans des sociétés occidentales, peu suspectes de pratiquer ce genre de montage, de quoi avoir peur (si ce n'est du scandale) ? À partir des années 1990, les révélations ne viennent pas tant de l'Est que de l'Ouest : Irlande, États-unis, France, etc. C'est-à-dire des espaces où les droits de la personne, comparativement à d'autres régions du monde, sont plutôt bien respectés et où ils permettent d'instruire des procès de manière équitable. C'est bien le souci dans l'affaire du cardinal Groër, nommé archevêque de Vienne alors que des accusations de pédophilie circulaient. Pourquoi invoquer, comme le pape le fit en effet, une "tentative de destruction" dans la lettre à l'épiscopat autrichien qu'il envoya en 1995 ? 

Si la peur de l'époque soviétique peut s'entendre, même si elle n'a pas encore fait l'objet d'une démonstration mesurée convaincante, on peut aussi pointer - ce dont passe complètement à côté l'article de La Croix - la part très importante d'une culture cléricale qui repose sur le ministère ordonné. La crise des abus sexuels a mis en évidence la protection longtemps accordée par un système à une violence d'hommes sur des femmes et des enfants. Elle est d'autant plus perçue négativement par l'opinion catholique et publique en général que les révélations ont eu lieu au moment où l'Église se présentait comme "maîtresse de vie" en opposition à certains acquis de la démocratie sexuelle. Elle le faisait sans avoir dénoncé les abus commis par des prêtres qui sont les seuls à disposer de la plénitude de l'autorité canonique. 

François l'a bien compris et essaie, tant bien que mal, après Benoit XVI de redresser la barre, notamment en ayant dans sa lettre au peuple de Dieu nommé ce mal : "le cléricalisme". Chose qui eût été inaudible par le pape Jean Paul II. Et c'est sûrement là le cœur du problème. 

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